Vincent Wackenheim signe l’imposant La Mort dans tous ses états
Dans une imposante somme, Vincent Wackenheim explore La Mort dans tous ses états, questionnant Modernité et esthétique des Danses macabres entre 1785 et 1966.
Fruit d’une incroyable recherche, ce livre volumineux – 936 pages pour 3,60 kilogrammes – est un événement : Vincent Wackenheim y a rassemblé chronologiquement 104 danses macabres, commentant un millier d’images qui revisitent un genre extrêmement codifié depuis le XVe siècle, avec la fresque du cimetière des Saints-Innocents à Paris (1424) ou celle de Bâle (1440), sans oublier les gravures de Hans Holbein (1538), affirmant l’égalité de tous face au trépas. Religieuses au départ, ces compositions, qui sont autant de Memento mori, connaissent un regain d’intérêt à la fin du XVIIIe siècle. Elles entrent alors dans le domaine profane et questionnent leur époque – première à être analysée dans le livre, celle de Johann Rudolf Schellenberg intègre une montgolfière, en 1785 –, en épousant aussi les préoccupations politiques. Ainsi, la suite réalisée par Alfred Rethel donne-t-elle une lecture du climat révolutionnaire régnant en Europe en 1848. Elle servira de modèle à de nombreuses autres : Richard Schwarzkopf crée, par exemple, une Passion allemande glaçante en 1936, chef-d’œuvre de propagande en forme d’ode à la SA dans un style expressionnisto-hiératique, où la Mort est assimilée au KPD (Kommunistische Partei Deutschlands).
La guerre sert également de matrice à de nombreuses œuvres, à l’image de la danse macabre de Paul Iribe parue dans La Baïonnette en 1916, dont les influences plongent dans les estampes d’Utagawa Kuniyoshi. C’est aussi le cas de Louis Jou, dont les bois gravés dénoncent les exactions nazies. Au fil des pages, le lecteur demeure marqué par l’immense diversité stylistique, montrant de grands artistes à l’œuvre, comme Grandville avec son Voyage pour l’éternité, ou Josef Kaspar Sattler, à l’époustouflante modernité. On reste scotchés face aux réalisations de Yan Bernard Dyl reflétant les Années folles, entre automobile lancée à toute berzingue proche du futurisme et immersion sinistre dans les paradis artificiels ou la prostitution. À la fin de l’ouvrage, Vincent Wackenheim propose quelques échappées post-sixties avec l’incontournable Tomi Ungerer, mais aussi Hervé Bohnert – célèbre pour ses vanités contemporaines, photos ou statues qu’il gratte et curette pour faire apparaître l’os – avec dieu n’est pas avec nous (2020), dont le radicalisme épouse celui du XXIe siècle.
Paru à L’Atelier contemporain (39 €)
editionslateliercontemporain.net