De la servitude volontaire

Photo de Vincent Muller pour Poly

Avec Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas, Olivier Py est de retour à l’Opéra national du Rhin pour une page du répertoire français oubliée où le conte rejoint le récit mythologique. Entretien avec l’homme de théâtre qui dirige le festival d’Avignon.

Cela fait longtemps que vous tourniez autour d’Ariane et Barbe-BleueJ’avais en effet cette œuvre dans mes cartons depuis une dizaine d’années : l’opéra de Dukas me fascine, car il est le seul véritable exemple de wagnérisme français. Il intègre la déflagration wagnérienne, tout en la dépassant avec des expérimentions sur le son qui intéressèrent beaucoup Messiaen. Dukas utilise en outre une manière de chanter éminemment française, rappelant Saint-Saëns, que j’aime beaucoup. Ariane constitue en quelque sorte la première partie d’un diptyque puisque, la saison prochaine, je monterai Pénélope de Fauré à Strasbourg, un autre portrait de femme écrit au début du XXe siècle, une autre pièce sur l’attente et l’inquiétude.

Quels sont les enjeux de l’œuvre ? C’est un opéra politique. Ariane veut libérer les femmes de Barbe-Bleue, ici représenté en Minotaure, mais elles refusent de s’évader : Paul Dukas et son librettiste Maurice Maeterlinck montrent les puissances obscures inconscientes qui nous font préférer la servitude et l’échec à la délivrance et la lumière. C’est un opéra de l’angoisse très actuel : dans ces temps de désarroi, nous n’arrivons pas à penser un vrai changement de société, à retrouver le fil perdu de la justice sociale. Nous avons tellement peur de tout, que nous ne risquons plus rien.

L’angoisse que vous décrivez est aussi métaphysique… La lumineuse Ariane incarne en effet aussi la Grâce, cette Grâce que nous refusons, puisque nous sommes amoureux de nos ténèbres.

Comment représenter cela sur scène ? Le plateau est dual : en haut, un monde totalement onirique et en bas un décor presque hyperréaliste où les femmes sont enfermées. Il manifeste une opposition entre le conscient et l’inconscient, la rugueuse réalité et le rêve, les fantasmes obscurs de Barbe-Bleue et la réalité épouvantable de l’asservissement politique.

À Strasbourg, à l’Opéra jusqu’au 6 mai – 08 25 84 14 84
À Mulhouse, à La Filature, vendredi 15 et dimanche 17 mai – 03 89 36 28 28
www.operanationaldurhin.eu

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