Des Huguenots très catholiques

© Alain Kaiser

Une fresque historique de cinq heures environ. Une gigantesque et séduisante arche sonore très rarement montée… Voilà comment se présentent Les Huguenots de Giacomo Meyerbeer que l’Opéra national du Rhin à l’heureuse idée de donner dans une mise en scène d’Olivier Py.

Disparus du paysage, Les Huguenots de Meyerbeer ? Évidemment… Peu de théâtres se sont en effet récemment risqués à monter une œuvre monumentale qui connut un immense succès à sa création, en 1836. Plus de mille représentations suivirent. Et après ? Plus rien, ou presque. Quelques mises en scène avec, en général, des coupes sombres dans un opulent matériau musical de cinq heures. Les dernières productions à signaler ? Celles de l’Opéra royal de Wallonie, à Liège (2005) ou de l’Opéra-Théâtre de Metz (2004). Malgré cette relative absence, la pièce planait, ectoplasmique, dans l’esprit des lyricomanes comme le parangon indépassable du “grand opéra à la française”. Le mythe était ravivé par quelques découvertes sur Youtube où éclate la puissance d’un autre âge d’une Marilyn Horne. Et cela tombe bien, puisque cette mise en scène, créée la saison passée à La Monnaie de Bruxelles, est confiée à Olivier Py (voir également notre portrait) dont tout le travail, au théâtre, prend pour point de départ le jeu opératique… Il narre ainsi ses débuts lyriques (avec Der Freischütz de Weber à Nancy en 1999) : « Je travaillais avec des chanteurs souhaitant se débarrasser de cette esthétique que j’adore, celle de Shirley Verrett ou Gwyneth Jones, des cantatrices et des actrices de génie. Aujourd’hui, je tente de “relyriciser” les chanteurs d’opéra, à l’inverse de ce que font d’autres qui veulent les faire ressembler à des acteurs de cinéma ». Mission accomplie avec brio dans ces Huguenots.

© Alain Kaiser

« J’aime les messes très pauvres, contrairement à ce qu’on pourrait croire » explique Olivier Py, catholique revendiqué… avant de compléter, un sourire en coin : « J’adore également les messes où le décorum est très chargé ». C’est peut-être dans ce paradoxe qu’il faut chercher le sens de sa mise en scène des Huguenots, dont la dialectique oscille en permanence entre jansénisme austère et dépouillé et cataractes baroques aux réminiscences sulpiciennes. Entre protestantisme et catholicisme… donc très précisément au cœur d’un opéra dont le pivot est la Saint-Barthélemy, « tragédie inaugurale de l’intolérance religieuse en Europe ». Sans doute, mais était-ce nécessaire de faire une pesante référence aux rafles des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale pour l’expliciter lourdement ? Voilà la seule fausse note d’une mise en scène parfaitement huilée qui tricote avec bonheur entre la période de création de l’opéra, celle où il se déroule et le monde contemporain dans un processus permanent de contextualisation / décontextualisation. Évidemment, au cœur de cette Histoire – avec le grand “H” qui sied – nait une histoire d’amour impossible. C’est aussi dans ce rapport entre les moments d’intimité et les scènes de foule que le dispositif, éminemment léger et en métamorphose permanente, imaginé par Olivier Py et Pierre-André Weitz fait merveille. Alors, les croix se transforment en épées, quelques corps nus jaillissent et un chevalier doré, étrange créature, à mi-chemin entre archange kitschoïde et vision hallucinée de C6PO – le robot de La Guerre des étoiles – vient personnifier le Mal… Voilà quelques éléments qui appartiennent bien au langage scénique récurrent d’Olivier Py qui a intelligemment intégré un personnage muet Catherine de Médicis, absente de la partition originelle, pour éclairer l’action d’une lueur macabre.

© Alain Kaiser

Pour que la soirée soit vraiment réussie, il fallait une distribution de très haute volée et des chœurs de belle tenue. Mission presque accomplie sous la direction ductile et appliquée de Daniele Callegari qui a visiblement su emporter la conviction des instrumentistes de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg. Ils font preuve de la cohésion indispensable pour rendre justice à l’épopée sonore des Huguenots, une partition parfois un brin pataude et joyeusement pompeuse… mais tellement lumineuse par rapport au souvenir que nous avions d’une Africaine de cauchemar dans cette même salle, en juin 2004. La distribution vocale, pour sa part, est d’une grande homogénéité : Laura Aikin (Marguerite de Valois) se joue, toute en séduction, des difficultés d’un rôle faisant appel à ses talents de colorature, tandis que Gregory Kunde (Raoul) fait preuve d’une endurance et d’une aisance impressionnantes, enchaînant les contre-ut avec une facilité déconcertante. Seule déception peut-être, la prestation de Mireille Delunsch (Valentine) dont la voix n’est pas taillée pour le rôle. Malgré l’intense conviction dont fait preuve la native de Mulhouse sur scène, elle ne réussit à faire oublier ce vice originel qu’avec intermittences… et principalement grâce à ses talents d’actrice. La révélation de la soirée ?  Incontestablement Karine Deshayes (le page Urbain) : diction parfaite, aigus ahurissants, puissante expressivité et vivacité de tous les instants. La mezzo française nous a enchantés… Et c’est un faible mot. Nous voilà d’autant plus impatients de l’entendre – en compagnie de l’exquise soprano Magali Léger – dans le cadre du festival de musique de chambre d’Obernai (vendredi 27 juillet) dans un melting-pot fait de pages de Schubert, Mendelssohn, Mozart, Schumann et Spohr.

Les Huguenots de Giacomo Meyerbeer. À voir à Mulhouse, à La Filature, vendredi 13 (à 18h30) et dimanche 15 avril (à 15h)
03 89 36 28 29 – www.lafilature.org
www.operanationaldurhin.eu

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