Succession Story

Bernard Fleury & son successeur à la direction du Maillon, Frédéric Simon © Pascal Bastien pour Poly

Après treize années de direction loin de tout repos, Bernard Fleury cèdera, le 1er octobre, sa place à Frédéric Simon au Maillon. L’heure d’un bilan acéré et de perspectives à engager.

La nouvelle était attendue, le timing précipité un peu moins souhaité. Bernard Fleury tire sa révérence en laissant un Maillon bien loin du « no man’s land » qu’il récupéra en 2002, lors de sa nomination. Un théâtre alors à l’arrêt depuis un an et le départ forcé de Nadia Derrar. « Il n’y avait pas un rat dans la salle », se souvient-il. « On appelait les copains pour venir la remplir, les techniciens mangeaient dans le bar et le public rentrait en catimini… Il fallait non seulement redresser la barre mais aussi jouer serré, car la droite alors aux affaires n’en voulait pas à Strasbourg. » Fort de ses expériences passées, notamment à Poitiers avec Robert Gironès et Jean-Louis Hourdin, Bernard Fleury relance la mécanique, « ce savoir-faire qui est une “façon de faire” avec une équipe autour de règles professionnelles en matière de communication, d’action culturelle, de choix artistiques… pour mettre en rapport un public et des artistes ». Il poursuit la ligne artistique internationale de ses prédécesseurs, invitant et soutenant des artistes comme Romeo Castellucci, Jan Fabre ou Rimini Protokoll, quitte à programmer avec une récurrence un peu trop marquée les chorégraphes flamands, ceux du KVS et de Vidy-Lausanne.

Bernard Fleury, laissant la direction du Maillon après 13 ans de bons et loyaux services © Pascal Bastien pour Poly

Étoiles & épines
En 2003, un incendie criminel ravage Le Maillon, ancien centre culturel éponyme ouvert en 1978 à Hautepierre, quartier périphérique de Strasbourg. Le Théâtre trouve alors refuge au Wacken, derrière les institutions européennes. Un coup du sort qui sera, pour lui, une chance, l’affranchissant d’une de ses missions premières : la bataille pour la culture dans un quartier à l’accès plus restreint qu’en centre ville. Avec le recul, une belle occasion manquée de créer une véritable politique culturelle au cœur d’un des quartiers défavorisés de la capitale européenne qui peine toujours à rendre ses équipements périphériques poreux, à toucher les habitants de la Meinau (Pôle Sud), du Neuhof (Django Reinhardt) et d’Hautepierre. Après de longs et coûteux travaux, la salle est reconstruite, sans que son utilisation ne soit arrêtée [1. Les Migrateurs, la Ville de Strasbourg, des associations ou encore les services de la Culture se la partagent, voir nos articles Question de culture dans Poly n°156 et Noces blanches dans Poly n°167)], Le Maillon s’en servant lui de petite salle pour présenter des formes nécessitant plus de proximité que l’immense Hall du Wacken.

Homme de réseau (notamment Second Cities – Performing Cities (2. Lire Urban intrusion dans Poly n°161), la force de Bernard Fleury aura été sa capacité à tisser des liens avec l’Allemagne (Offenbourg, Bâle, Karlsruhe) ainsi qu’avec les autres structures locales (Pôle Sud, Taps, TJP, TNS) pour contribuer à faire rayonner la création contemporaine internationale à Strasbourg. En 2005 naît ainsi le Festival Premières, dédié aux jeunes metteurs en scène européens, créé avec le Théâtre national de Strasbourg, qu’il sauvera littéralement en trouvant comme nouveau partenaire le Badisches Staatstheater de Karlsruhe lorsque Julie Brochen – alors directrice du TNS – choisit d’annuler une édition au profit d’autres projets. Un rendez-vous qu’il défend jusqu’au bout, l’inscrivant même dans sa saison 2015-16 pour mettre Stanislas Nordey, nouveau directeur du TNS, peu emballé et bien silencieux sur le sujet « face à ses responsabilités s’il ne veut plus du festival ». Une dernière bravade pour celui qui a toujours défendu un « théâtre de forme », brocardant sans retenue cette vision française « têtue et ténue, considérant l’art dramatique comme un hommage à la littérature. Cette domination du texte fait que le théâtre français est mauvais majoritairement et qu’il ne s’exporte quasiment pas ! » Guère étonnant donc de le voir citer comme artistes marquants de sa direction Angélica Liddell [3. Lire notre interview Hells Angélica avec la metteuse en scène espagnole dans Poly n°151), Ganesh versus The Third Reich (du Back to Back Theatre[4. Voir La Sagesse de l’éléphant paru dans Poly n°157]) ou encore le travail de Brett Bailey[5. Voir African History X sur www.poly.fr (Poly n°163) ou encore Le Dernier roi d’Écosse (Poly n°172)] accueilli avec Exhibit B et Macbeth.

Frédéric Simon, nouveau directeur du Maillon © Pascal Bastien pour Poly

Continuité & Rupture
Il laisse en tout cas à son successeur une structure forte d’un public fidèle, exigeant et nombreux, qui devrait (sauf retards) disposer d’un tout nouvel équipement en 2018. Frédéric Simon arrive du Carreau, scène nationale de Forbach. Artistiquement très proche des goûts de son prédécesseur, il débarque dans une continuité, avec beaucoup d’ambition. Notamment celle de créer une cellule Europe, faisant du Maillon le chef de file d’une association d’autres structures culturelles afin d’obtenir de nouveaux moyens de production, comptant pour cela “attaquer” des projets multi-européens par le biais d’Europe Créative[6. Un programme dédié aux secteurs culturels et créatifs pour la période 2014-2020, financé par l’Union européenne – www.europecreativefrance.eu], d’Interreg[7. Programme européen visant à promouvoir la coopération entre les régions européennes et développer des solutions communes – www.interreg-rhin-sup.eu] ou d’Erasmus+[8. Programme européen pour l’éducation, la formation, la jeunesse et le sport – www.erasmusplus.fr], conscient que « la région du Rhin supérieur est un pays de Cocagne, un des plus riches du continent avec Bâle, Freiburg, Karlsruhe… »

Offensif, le nouveau directeur a prévenu ses tutelles : il fera tout pour obtenir une labellisation nationale, voire européenne si elle était créée. Bernard Fleury avait manqué le coche lorsqu’après les élections de 2008 le projet de labellisation Scène nationale négocié avec l’État fut abandonné par Roland Ries et la nouvelle municipalité, le fragilisant dans ses responsabilités et entraînant une crise interne profonde aux répercussions innombrables. Frédéric Simon apparaît, lui, rompu au jeu politique, convaincu de la force métropolitaine et sûr de sa capacité à « jouer les chefs de file d’un groupement d’employeurs visant à fédérer des structures locales pour mutualiser et être en capacité de produire plus de choses ». Celui qui cite dans le même élan un poème de Michel Deutsch, un concept décortiqué par Franck Lepage, un Olivier Py disert, un Peter Sloterdijk extatique et un essai sociologique sur les fans clubs américains de Star Wars mêle pragmatisme et responsabilité éducativo-artistiques, plaçant le public (et notamment les plus jeunes), son éducation et son accompagnement au centre de ses réflexions. Sa première saison (2016-17) sera ainsi « construite comme une narration dont les interstices entre les œuvres et leurs différences serviront au public pour y placer leur propre vie ». Premières ? « Une nécessité, que Le Maillon assumera même si le TNS ne suit plus, mais en accompagnant aussi ses découvertes les saisons suivantes. » Son dada ? Les nouvelles écritures augmentées comme Situation Rooms, pour lesquelles il entend bien créer un nouveau temps fort strasbourgeois en hiver, “Solstice”, dédié au renouvellement des formes esthétiques européennes, complété en son cœur par “Jardins divers”, un espace de rencontres artistiques. Wait & See.

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