Hello Kittin

L’electro n’est pas une musique sans visage : Miss Kittin, DJette et compositrice techno-pop incarne ce style qui lui a permis de trouver et tracer sa route. Phrasé froid et beats fracassants. Voix enfantine et frange bien droite sur le front. Force de caractère et esprit libre…

Qu’est-ce que la techno vous a offert, adolescente ? Vous a-t-elle autorisé à imaginer d’autres possibles ?

Découvrir les raves a été un vrai choc, bousculant toutes les façons de vivre la musique que nous connaissions. Il n’y avait aucune violence, plus aucun code, chacun pouvait s’habiller comme il le voulait, des personnes de tous horizons se réunissaient autour d’une même chose. Lorsque je rentrais de soirée, je croisais les gens qui allaient travailler et je me demandais comment trouver ma place dans la société. J’ai compris qu’il faudrait travailler très dur pour construire ma propre vie, en marge. Je me dis que si j’ai réussi à écrire mon histoire, si la musique m’a donnée cette force, alors je peux la transmettre à d’autres, afin qu’ils inventent eux aussi leur vie. Voilà ce que la techno m’a apportée de plus précieux : cette liberté, cette force.

Qu’est-ce qui vous procure le plus de satisfaction : le chant, la composition, le DJing, le live ?

Au début, le DJing, parce que j’aime davantage jouer la musique des autres que la mienne. À l’époque, la scène était extrêmement stimulante. Je n’ai jamais voulu entrer dans le show business puisque la techno était tout l’inverse, une rébellion. Faire du live avec The Hacker était compliqué. Nous étions seuls, sans tour-manager, ni ingénieur du son, tout cet entourage que les artistes ont aujourd’hui. Nous avons tout appris sur la route, non sans peine. Depuis, c’est différent, le disc-jockey est devenu une pop star et tout le monde peut techniquement être DJ…  Mais tous ne savent pas composer, chanter ou se produire sur scène. J’ai donc décidé d’aller dans cette direction, montrer que je suis une vraie musicienne. C’est une sorte d’engagement artistique.

Avec des héros comme Jeff Mills ou Aphex Twin, pourquoi avez-vous opté pour le format chanson, très présent sur vos différents albums ?

Parce qu’à l’époque, avec The Hacker, nous savions que nous ne pourrions jamais faire aussi bien qu’eux : il fallait prendre le contrepied de nos héros. Mais nous avions aussi une solide base new wave, où l’électronique avait déjà été mise au service de chansons.

C’est toujours aussi difficile de danser sur du Miss Kittin… Pourquoi ne faites-vous pas de morceaux calibrés pour les dancefloors ?

Passer des disques et écrire des chansons sont deux choses distinctes dans ma tête. Chacune se nourrit de l’autre. Dans l’écriture, je suis beaucoup plus inspirée par la vraie vie, le jour, que la vie la nuit dans les clubs. Ça prouve que je suis saine d’esprit !

Votre dernier disque, Calling from the Stars, double album comprenant vingt-trois titres, est plus introspectif que les précédents…

La vie est ainsi faite. Les chansons sont toujours personnelles ou inspirées de faits autour de nous, s’ils ne sont pas strictement autobiographiques. Tout n’est pas centré sur moi, mais toutes mes chansons traitent de sujets qui parlent aux autres. C’est la définition de la pop, au sens populaire. J’ai réussi, avec cet album, à éviter les chemins détournés et à moins utiliser de métaphores qu’auparavant. Je choisis mieux mes mots, mon écriture est plus efficace.

Vous insistez souvent sur l’importance de la première prise. C’est dans le premier jet que se trouve l’émotion ?

Souvent. L’authenticité est une denrée rare et précieuse. J’essaie toujours d’être dans l’émotion plus que la perfection. Quand je répète trop, je perds toute spontanéité.

DJ sets, sorties de disques, lives, gestion de votre label (Nobody’s Bizzness)… Êtes-vous accro à un rythme effréné ?

J’ai un week-end de libre par mois, je ne joue que deux fois par semaine maximum et je ne suis pas tous les jours en studio, mais c’est encore trop à mon goût. De l’extérieur, on croit que notre vie est facile : gagner des sommes folles en s’amusant à passer des disques. Mais c’est énormément de travail et d’investissement, plus qu’une personne normale dans un bureau avec des heures fixes ne pourra jamais fournir. Nous n’avons pas d’horaires, des rythmes décalés, très peu de vacances, et je gagne beaucoup moins que mes collègues masculins, même moins connus que moi. Oui, chez les DJs aussi, on est loin de la parité.

Vous semblez vouloir vous tenir loin des paillettes, mais votre nom est associé à un parfum de Gaultier, Vous n’aimez pas trop qu’on parle de votre physique, mais vous êtes considérée comme une icône glamour. Quel est votre rapport à la mode, à l’image ?

Je ne suis ni dans les journaux, ni dans les soirées mondaines. Je n’ai pas besoin de tout ça et veux garder mon indépendance. C’est peut-être une forme de glamour aujourd’hui, la discrétion et les valeurs simples. C’est drôle d’être qualifiée d’icône de mode alors que je ne vais jamais aux défilés, je m’achète très peu de vêtements de marque et je suis plutôt experte en shopping pas cher. Surtout, je n’ai jamais été sponsorisée par des couturiers : je n’ai sûrement pas le physique pour jouer à ce jeu-là, j’ai horreur des séances photos et de cette dictature de la minceur. C’est avilissant pour une femme et je ne veux être esclave de cela pour rien au monde. Après ce que je viens de dire, ce serait plus juste de me qualifier d’icône “anti-mode”, non ?

À Nancy, à L’Autre Canal, samedi 12 octobre, dans le cadre de Nancy Jazz Pulsations (du 9 au 19 octobre, avec Kas Product, Shannon Wright, The Heliocentrics, Ibrahim Maalouf… et un “Cap sur la Nouvelle Orléans”)

03 83 35 40 86

www.nancyjazzpulsations.com

À Strasbourg, à La Laiterie, samedi 19 octobre, dans le cadre de L’Ososphère (avec Busy P, Feadz…)

03 88 237 237

www.ososphere.org

 

 

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