Anna Haifisch et ses souris au Musée Tomi Ungerer

Planche pour Clinique von Spatz / Platte für Von Spatz, 2015. Collection de l’artiste / Sammlung der Künstlerin

Dans une séduisante poésie, Anna Haifisch s’empare du Musée Tomi Ungerer pour sa première exposition monographique en France.

Accroché aux grilles du Musée, l’immense Triptyque de Strasbourg donne le ton. Sur un panneau, une souris longiligne, palette et pinceau en main, s’apprête à peindre. Sur le second, un piaf mélancolique semble concentrer toute la misère du monde, tandis que le dernier montre un moulin à vent sur les ailes duquel sont juchées les deux bestioles. Le dessin est simple. La gamme chromatique, réduite. Pour cette exposition, Anna Sailer, la nouvelle directrice de l’institution strasbourgeoise, frappe fort, faisant découvrir la dessinatrice allemande Anna Haifisch. Dans un décalage poétique permanent, la trentenaire explore la vie d’artiste – un des fils rouges de sa création – avec un humour laconique : en témoigne une première salle en forme de plongée dans son atelier, mais aussi son personnage né dans Vice, où elle publie une colonne hebdomadaire, depuis 2008. The Artist – c’est son nom – est un drôle d’oiseau, dont la lauréate du prestigieux Max und Moritz Preis 2020 narre la vie (pas toujours) de bohème. Dans la Clinique Von Spatz, maison de santé de Santa Monica également nommée Pavillon des visionnaires, on croise en outre Walt Disney en plein burnout qui disserte, désabusé, avec Saul Steinberg et Tomi Ungerer, également en crise créatrice.

Pour représenter l’humaine comédie, Anna Haifisch utilise des bêtes – comme Art Spiegelman, Charles Schulz, etc. – qui sont bien souvent en complet décalage avec le monde. Elle a une prédilection pour les souris : « Elles sont des proies pour presque tous les animaux ; il y a une dimension tragique à leur existence. Elles sont aussi particulièrement interchangeables avec leur fourrure grise et le fait qu’elles soient si nombreuses », résume-t-elle. Dans un autre opus, deux rongeurs sont ainsi en résidence à Fahrenbühl, lieu imaginaire niché au cœur des montagnes, en quête d’inspiration dans une fiction qui possède, comme souvent, des traits autobiographiques. Il y a là une poésie un brin désenchantée, autre fil rouge dans l’œuvre de la native de Leipzig. Elle aime se glisser au cœur d’hétérotopies, espaces d’une confondante banalité dans leur apparence, mais qui consistent en des échappées belles hors du monde, conformes en cela à la définition qu’en donnait Michel Foucault : une localisation physique de l’utopie. Il en va ainsi de la Villa Aurora à Los Angeles, où l’artiste était en résidence en 2022, et dont elle rapporta Ready America, variation post-pop sur le rêve californien, où la pub et les autres signes saturant l’espace urbain envahissent tout, générant un sentiment ambivalent de répulsion / fascination.


Au Musée Tomi Ungerer – Centre international de l’Illustration (Strasbourg) jusqu’au 7 avril

musees.strasbourg.eu

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