Zoom sur l’édition 2023 des Bibliothèques idéales

Régis Debray © Francesca Mantovani

Rassemblant plus de 70 événements, le cru 2023 des Bibliothèques idéales prend pour mot d’ordre « Faut vivre ! » Focus sur une programmation où se croisent rencontres littéraires, lectures, concerts… 

Les Bibliothèques idéales, ce sont des mots. Des bouquets de phrases. Des feux d’artifice sémantiques riches de sens. Et cette année, l’événement strasbourgeois est placé sous le haut patronage de Mouloudji, adoptant le titre d’une de ses plus belles chansons comme slogan. Et de se souvenir de quelques paroles : « Malgré l’idéal du jeune temps / Qui s’est usé au nerf du temps / Et par d’autres repris en chantant / Faut vivre. » Un concert littéraire lui rendra du reste hommage (23/09, Aubette) où il sera possible de se replonger dans l’univers du poète, quelques heures avant un autre grand moment dédié, celui-ci, à Christophe : la merveilleuse Léopoldine HH, accompagnée d’une kyrielle de musiciens, nous emportera dans les maux bleus de l’immortel auteur de Daisy

L’événement est également l’épicentre de la littérature, mêlant les chapelles, de l’inoxydable Amélie Nothomb (15/09, Parlement européen), sans qui une rentrée ne serait pas une rentrée (cette année, elle publie le très intime Psychopompe, chez Albin Michel as usual), à la sensation Éric Reinhardt. L’auteur du roman événement Sarah, Susanne et l’écrivain (Gallimard) – réflexion habile sur le lien trouble qui se tisse possiblement entre un écrivain et ses lecteurs – dialoguera avec Carole Fives et Émilie Frèche autour de la liberté (19/09, Aubette). Autre rencontre au sommet, celle des deux Académiciens que sont Dominique Fernandez et Andreï Makine (19/09, Aubette) face au tragique de l’Histoire. Le premier a publié Le Roman soviétique, un continent à découvrir (Grasset) – exhumant notamment de la gangue de mépris, qui les a trop longtemps emprisonnés, de grands auteurs du réalisme socialiste – tandis que le second, Prix Goncourt 1995 pour Le Testament français, est une des voix les plus attachantes et vibrantes des lettres hexagonales. 

Parmi la kyrielle de personnalités attendues, on a une immense tendresse pour Régis Debray (17/09, Parlement européen), styliste hors pair qui vient de publier Où de vivants piliers (Gallimard), véritable abécédaire amoureux dans lequel il paye ses dettes, se « tournant vers ceux de [s]es aînés qui [l]’ont aidé à grandir. J’ai tout lieu de douter qu’ils y soient parvenus, mais chacun doit rendre la pareille à ses parrains avant de quitter les lieux », résume-t-il. On se souvient que l’auteur avait publié Loués soient nos seigneurs, qui portait comme sous-titre Une éducation politique : ici, nous sommes devant une éducation littéraire où il écrit des pages fulgurantes sur Céline, Genevoix, Giono, Morand, Proust, Yourcenar (seule femme de la bande) ou encore Aragon. Dans celles qu’il dédie à l’auteur d’Aurélien, il glisse, comme souvent, une brassée de souvenirs, brossant au passage un joli portrait de François Mitterrand : « Socialiste il était, un peu par conviction, beaucoup par convenance, mais son être instinctif, donc refoulé, regardait de l’autre côté. Côté Barrès, La Colline inspirée, parce que la France était d’abord à ses yeux une géographie ; côté Chardonne, Le Bonheur de Barbezieux, parce que terroir et Charente (vingt titres soigneusement reliés) ; et même, horresco referens, côté Rebatet (mais non Céline, trop populo) ». Et de rappeler la phrase d’un président qui croyait aux forces de l’esprit : « Il y a deux sortes d’hommes, ceux qui ont lu Les Deux Étendards et les autres. » On se régale d’avance d’entendre l’ancien compagnon de route du Che évoquer sa passion pour Julien Gracq – « Le patron » – ou disserter sur la manière de ranger une bibliothèque, puisque des entrées théoriques entrelardent ces exercices d’admiration. Souvent, au coin d’un paragraphe, jaillissent en outre quelques échappées belles politiques : « Les gens de mon bord me rasent dès qu’ils prennent un micro, tant ils aiment faire la morale ; l’autre bord, plus déluré, me fait bicher malgré moi, tant qu’on ne parle pas des prochaines élections, sinon je pars en courant », confesse ainsi Régis Debray, avec grande élégance. 

Poétiques, les Bibliothèques idéales se font aussi politiques avec, par exemple, la venue de Camille Étienne (16/09, Parlement européen), qui a récemment publié Pour un soulèvement écologique : dépasser notre impuissance collective (Seuil), ouvrage coup de poing visant à sensibiliser le plus large public aux enjeux du changement climatique. Pensons aussi à une rencontre qui s’annonce passionnante entre Thomas Piketty et Julia Cagé (17/09, Parlement européen) : dans Une Histoire du conflit politique (Seuil), le duo porte un regard neuf sur les crises du présent en analysant comment la structure sociale des électorats des différents courants a évolué depuis 1789, en France, puisqu’il est bien entendu que la tripartition de la vie politique perceptible dans les résultats des élections de 2022 ne peut être analysée qu’en prenant le recul historique nécessaire. Enfin, impossible de ne pas mentionner Ivan Jablonka (23/09, Aubette), qui vient de publier Goldman (Seuil), à la fois biographie du chanteur préféré des Français – le plus visible et le plus invisible de tous – et réflexion sur des années où notre pays était plus apaisé. 


Au Parlement européen, à l’Aubette ainsi que dans les Médiathèques et les librairies de Strasbourg du 15 au 24 septembre
biblideales.fr 

> Éric Reinhardt et Ivan Jablonka sont aussi présents au Livre sur la Place (08-10/09, Nancy) 

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