La rentrée littéraire avec les Bibliothèques idéales

Bérangère Cournut

Trois manifestations phare rythment la rentrée littéraire : sélection au sein de la programmation des Bibliothèques idéales, du Livre sur la place et de Livres dans la boucle.

Trilogie de la famille

Remarquée avec Née contente à Oraibi (épopée au milieu des Hopis publiée en 2017 au Tripode), succès confirmé avec De Pierre et d’os (Le Tripode, 2019) contant le destin d’une jeune Inuk coupée de sa famille, Bérangère Cournut clôt sa trilogie de la famille avec Zizi Cabane. Un roman hypersensible aux touches fantastiques dans laquelle la Bisontine fouille le manque et la perte d’une mère mystérieusement évaporée, laissant un père et ses trois enfants face au vide d’une existence à remplir. Alternant les narrateurs et les métaphores aquatiques de cette absente qui se répand dans le paysage par ruisseaux et infiltrations, l’autrice offre des voix singulières à chaque personnage dont elle décrit avec minutie les tortueux chemins – plein d’esprits naturels – à inventer pour se retrouver et combler ses failles. La douceur de ses regards sur leurs intimités offre une caresse de l’âme pleine de promesses pour l’avenir.
> Bérangère Cournut sera au Livre sur la place (Nancy) et à Livres dans la boucle (Besançon)

One two three, viva l’Algérie

La romancière Kaouther Adimi continue à passer l’histoire de l’Algérie contemporaine au tamis de son talent : après Les Petits de décembre, elle livre Au vent mauvais (Seuil), en grande partie écrit pendant sa résidence à la Villa Médicis en 2021-22. Cette vaste fresque embarque le lecteur dans l’Histoire, de 1920 à l’été 1992, début de la ”décennie noire”, à travers la destinée de trois personnages – Leïla, Tarek et Saïd, ces deux derniers étant amoureux de la première –, qui grandissent ensemble dans un village de l’Est du pays. Seconde Guerre mondiale, tournage de La Bataille d’Alger, émigration en France… le roman est certes un habile précipité d’un fragment du XXe siècle, mais aussi une réflexion sur la littérature – et l’auto-fiction plus précisément – qui peut être un Vent mauvais venant faire basculer des existences. 
> Aux Bibliothèques idéales (Strasbourg), Kaouther Adimi autour de “L’Algérie, espoir et tragédie”, 04/09 à la Cité de la Musique et de la Danse. Elle sera aussi présente au Livre sur la place (Nancy)

Frère-Lachaise

La plupart des romans d’Alain Mabanckou prennent pour toile de fond le Pointe-Noire de son enfance. Le Commerce des allongés (Seuil) nous entraîne dans le truculent rêve le plus long de la mort de Liwa Ekimakingaï, personnage principal qui voit sa vie et les étapes de son trépas expliqués par un conteur lui donnant du “tu”. La destinée de celui dont le nom signifie “la mort a eu peur de moi” – sa mère n’ayant pas survécu à son accouchement – sert de prétexte à une traversée politico-sociale du Congo depuis l’Indépendance. Du quartier Trois-Cents au bar-dancing du Joli-Soir à côté de la parcelle de Mâ Lembé, sa grand-mère qui l’a élevé seule, la fresque grand format voit les images se bousculer, les existences se percuter, les croyances s’enchevêtrer. Meurtre d’albinos pour nourrir la force des féticheurs, prêcheur chrétien escroc en mal de jeunes femmes, manigances de dictateurs et humour des laissés-pour-compte qui renomment ironiquement le Cimetière des pauvres en Frère-Lachaise, montrent que le royaume des morts n’a rien à envier à celui des vivants, car on s’y retrouve tous et que, surtout, on y a tout son temps.
> Alain Mabanckou participe au Livre sur la place (Nancy) et à Livres dans la boucle (Besançon)

La vie en mots
Alain Mabanckou © Vincent Muller

La Grèce, demain… 

Conteur hors pair, Laurent Gaudé est de retour pour un roman qui fera date : avec Chien 51 (Actes Sud) il nous plonge dans une Grèce dystopique qui a été vendue au plus offrant après une faillite globale. Dans ce pays privatisé, Zem Sparak, autrefois engagé pour la liberté, a tourné sa veste. Devenu supplétif à la sécurité, il opère dans la zone 3 de Magnapole, la plus pauvre d’une cité régie par le consortium GoldTex, rongée par la misère et les pluies acides. « Le personnage est un homme qui porte en lui des mondes disparus. C’est un sentiment qui m’envahit de plus en plus : l’impression croissante, alors que j’avance en âge, de porter en moi des mondes qui n’existent plus. Est-ce que nous ne sommes pas tous, un jour ou l’autre, des animaux antiques perdus dans une société qui va trop vite ? » explique l’auteur qui livre une histoire haletante venant questionner nos sociétés.
> Laurent Gaudé est présent aux Bibliothèques idéales (Strasbourg, 11/09, Cité de la Musique et de la Danse) et au Livre sur la place (Nancy)

La vie en mots
Kaouther Adimi © Vincent Muller

La femme révoltée

Dans la veine d’un Mohamed Choukri (Le Pain nu), Abdellah Taïa ne cesse de tisser une œuvre abordant les tabous de la société marocaine qui l’a vu naître. Ses romans sont toujours peuplés des destins de petites gens et de femmes en proie à la violence des hommes, d’homosexuels peinant à vivre leur amour à l’ombre de la tradition. Vivre à ta lumière (Seuil) met en scène cinq décennies de la vie de Malika, des années 1950 à la fin des années 1990. Double de sa propre mère, ce personnage, qui hante nombre de ses précédents livres, est aux prises avec l’histoire coloniale qui envoie son époux, auquel elle a été mariée de force par son père, à la mort en Indochine. Sans fard et avec un pugnace engagement, l’écrivain nous fait cheminer dans ses soudaines colères, ses révoltes face au mektoub, ses rêves intérieurs, ses cauchemars tourmentés et ses luttes d’émancipation, notamment celle de sa fille aînée, dont elle espère un destin de grande dame. Face à la pauvreté et les humiliations qu’elle charrie, son regard est empli de lucidité sur le néo-colonialisme français teinté de paternalisme, comme sur les privilèges d’un roi ne gouvernant pas pour le petit peuple. Le superbe portrait de cette battante ne manque ni d’acidité, ni d’authenticité, notamment envers Ahmed, ce fils homosexuel – qui n’est pas sans rappeler l’auteur – qu’elle n’aidera jamais, préférant ne pas voir les persécutions qu’il subit.
> Abdellah Taïa sera aux Bibliothèques idéales (Strasbourg) aux côtés de Léonora Miano (Stardust, Grasset), Leïla Bouherrafa (Tu mérites un pays, Allary Éditions) et Céline Bentz (Oublier les fleurs sauvages, Préludes Éditions) pour la rencontre “Échapper à toute forme de domination” (17/09, Parlement européen)

La vie en mots
Laurent Gaudé © Vincent Muller

Par Hervé Lévy et Thomas Flagel

Bibliothèques idéales (Strasbourg) du 2 au 18 septembre
bibliotheques-ideales.strasbourg.eu

Livre sur la place (Nancy) du 9 au 11 septembre
lelivresurlaplace.nancy.fr

Livres dans la boucle (Grand Besançon) du 16 au 18 septembre
livresdanslaboucle.fr

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