Paul Stradner reprend le flambeau de la Villa René Lalique

Photo de Karine Faby

Désormais seul aux commandes de la Villa René Lalique, deux Étoiles au Guide Michelin, le chef autrichien Paul Stradner y déploie son style tout en épure et élégance. Visite à Wingen-sur-Moder.

Jeune quadragénaire, Paul Stradner a grandi en Styrie dans une famille (très) nombreuse, à la campagne : au milieu de bœufs et autres cochons, il se laisse bercer par les plats de sa grand-mère, simples, roboratifs et goûteux. Ses souvenirs d’enfance piquètent aujourd’hui la carte de la Villa René Lalique de délicates touches, à l’image d’une tartine inaugurale mêlant rusticité et aristocratie. Formé à la dure école de la Traube Tonbach, il cuisine tout d’abord pour les hôtes en demi-pension – « Du petit déjeuner au service du soir, un véritable marathon et une incroyable variété de produits, du boudin noir au caviar », se souvient-il – avant d’intégrer le vaisseau amiral de l’exquis hôtel de la Forêt-Noire. Sous la houlette du mythique Harald Wohlfahrt, il passe ainsi quatre ans dans la brigade de la Schwarzwaldstube, « une école d’exigence où il est impératif de se dépasser chaque jour. » Quittant les rives du classicisme de la grande gastronomie à la française, il aborde les expérimentations créatives en diable de Jean-Georges Klein à L’Arnsbourg. Après cette double expérience triplement étoilée, le voilà aux commandes du restaurant du Brenners Park-Hotel – iconique palace de la cité thermale de Baden-Baden – où il conquiert les deux Étoiles au Guide Michelin avec des plats aussi aboutis que la selle de chevreuil Baden-Baden. En 2017, il rejoint son mentor Jean-Georges Klein à la Villa René Lalique : « Le coup de foudre pour le lieu est immédiat », explique le chef. Dans ce temple de verre et de grès bâti par l’architecte star Mario Botta, les deux hommes forment un tandem efficient où le credo du Français – exaltant L’Alchimie des éléments comme le proclame son célèbre livre – donne le tempo. Peu à peu néanmoins, la patte du chef autrichien se fait plus marquée. Opérée par étapes, la transition a été douce. Aujourd’hui, Paul Stradner a repris le flambeau, même si « l’avis de Jean-Georges demeure important. Reste que c’est moi qui prends désormais seul la responsabilité devant le client », résume-t-il.



À la Villa, les « trois racines de ma cuisine sont le terroir alsacien – nous avons beaucoup travaillé ces deux dernières années pour choisir des producteurs locaux en parallèle à la création de notre potager –, des clins d’œil à mes origines autrichiennes et… Lalique. Dans une maison comme celle-ci, le luxe doit être présent avec des produits comme le caviar, le homard, etc. » Depuis le départ de Jean-Georges Klein, son art semble s’être complètement libéré pour tendre vers sa plénitude. Le changement est patent. Mais foin de psychanalyse de bazar, remarquons simplement la cohérence d’une carte aux plats d’une extrême précision où l’œuf parfait au cresson l’est réellement, flanqué d’une anthologique mouillette. Composition toute en cylindrique verticalité, l’alliance du caviar et du tartare de bœuf est une variation habile questionnant les contours de la notion même de cru, entre béatitudes iodées et finesse terrienne. On ne saurait rêver “terre / mer” plus accompli. Pour célébrer le centième anniversaire de la manufacture sise à quelques encablures, le chef a imaginé une construction aux allures Art déco inspirée de l’emblématique motif Cactus dessiné par René Lalique dans les années 1920. Métamorphosant le cristal en foie gras d’oie enrobé de beurre de cacao noir, il crée une forme à l’éblouissante élégance où l’onctuosité le dispute à une sapidité acidulée grâce à des pointes de gel au citron et une minuscule galaxie faite de cubes de rhubarbe. Les alliances avec le vin sont travaillées en profondeur et toute perfection par un sommelier de haut vol, Romain Iltis, qui sait mettre en valeur les vignobles du maître des lieux Silvio Denz, avec notamment un Bordeaux sec du Château Lafaurie-Peyraguey. Passionné, le Meilleur Ouvrier de France, qui n’a pas la langue dans sa poche, parle de ses flacons avec une faconde que peu possèdent. Moment fort du parcours, le pois chiche (cultivé en Alsace à la ferme d’Ysengrain de Petit-Landau) est plongé dans une ronde sensuelle, valsant en toute décontraction avec coriandre et yaourt au curry. Voilà sans aucun doute le plat le plus frontal du repas, qui se termine dans des effluves sucrées du chef pâtissier Nicolas Multon : ultra talentueux, il a notamment élaboré un dessert où la mangue joue une partition d’une grande finesse, entrant en résonance avec la délicatesse d’un riz au lait vanillé et quelques touches de fruits de la passion. L’ensemble est une explosion gustative et visuelle ressemblant à une improbable toile, qui marquerait la rencontre entre Robert Delaunay et le constructivisme russe dans une déflagration chromatique toute en orange et beige.


La Villa René Lalique est située 18 rue Bellevue (Wingen-sur-Moder). Fermé les samedis (au déjeuner) ainsi que les mardis et mercredis. Menus de 130 à 230 €.
villarenelalique.com

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