Odilon Redon : Rêve et réalité

Odilon Redon : L’œil, comme un ballon bizarre se dirige vers l’infini / Das Auge strebt wie ein seltsamer Ballon zum Unendlichen hin, Blatt 1 des Albums A Edgar Poe, 1882, Kunst Museum Winterthur, Geschenk von Maria Stiefel-Bühler, 1975

À Winterthur, les œuvres oniriques d’Odilon Redon emportent le visiteur entre Rêve et réalité, de noirs abyssaux en couleurs éclatantes.

Pour Odilon Redon (1840-1916), Winterthur n’est pas une cité comme les autres : patrie de ceux qui commencèrent très tôt à collectionner ses oeuvres – Hedy et Arthur Hahnloser ou Richard Bühler –, la cité abrite le Kunst Museum, qui accueillit la première exposition qui lui fut dédiée après sa disparition, en 1919. Puisant largement dans ses collections, comptant une centaine de ses pièces, l’institution helvète explore l’œuvre d’un des représentants les plus singuliers de la modernité naissante : contemporain et proche des impressionnistes, il participa même à la huitième et dernière exposition du groupe, en 1886.

Odilon Redon
Hommage à Goya : La Fleur du Marécage (1885)

Reste que l’artiste demeure irrémédiablement solitaire, imaginant des Noirs, (lithographies ou fusains) qui annoncent le symbolisme et fournissent le substrat d’une grande partie d’un parcours, où se déploient quelques albums graphiques : Les Origines (1883), où l’influence de Darwin est perceptible, Hommage à Goya (1885) ou encore La Tentation de Saint-Antoine (1888). Pour lui, le noir nimbant ses œuvres est du reste « l’agent de l’esprit bien plus que la belle couleur de la palette ou du prisme ». Chimères énigmatiques, cyclope souriant et hideux à la fois, satyre sardonique, œil flamboyant se détachant de l’éther et autres organismes primitifs composent des paysages intérieurs qu’on dirait sortis d’un recueil d’Edgar Allan Poe ou d’un poème de son traducteur, Charles Baudelaire, auteur d’une phrase qui va si bien à l’art d’Odilon Redon : « L’étrangeté est le condiment nécessaire de toute beauté. »

Les Origines : Le Polype difforme flottait sur les rivages, sorte de
cyclope souriant et hideux
(1883)
Kunst Museum Winterthur, Geschenk des Galerievereins,
1921
photo : SIK-ISEA, Zürich, Lutz Hartmann

Dans les années 1890, les noirs s’étiolent progressivement : « J’ai épousé la couleur », écrit alors un artiste désormais établi, dont les galeristes se nomment Paul Durand-Ruel ou Ambroise Vollard. Mais cela ne veut pas dire que l’étrangeté est absente d’une palette où le rêve dialogue sans cesse avec le réel, comme dans les efflorescences du Quadrige ou Le Char d’Apollon (vers 1910) ou au cœur des constellations rougeoyantes de ses Papillons (vers 1912). On garde une tendresse particulière pour Alsace ou Moine lisant (vers 1914) : le peintre retranscrit avec une grande délicatesse l’aventure intérieure de cet homme dont la douce spiritualité irradie sur toute la toile avec force. Personne n’a mieux résumé son art que Pierre Bonnard, affirmant : « Ce qui me frappe le plus dans son œuvre, c’est la réunion de deux qualités presque opposées : la matière plastique très pure et l’expression très mystérieuse. »

Odilon Redon : Alsace ou Moine lisant
Alsace ou Moine lisant (vers 1914)
Kunst Museum Winterthur, Geschenk des
Galerievereins, 1919, photo : Hans Humm, Zürich

Au Kunst Museum / Reinhart am Stadtgarten (Winterthur) jusqu’au 30 juillet

kmw.ch

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