Extase nabie

Félix Vallotton 1865 – 1925 Coucher de soleil avec barque échouée, 1911 Collection Privée

Modernité – Renoir, Bonnard, Vallotton retrace l’enthousiasme de Richard Bühler pour la peinture française au tournant du XXe siècle.

Son nom ne vous dit probablement rien, mais c’est au collectionneur suisse Richard Bühler (1879-1967) que l’on doit l’entrée fracassante de Winterthur sur la carte des villes qui comptent pour la peinture d’avant-garde post-impressionniste. L’exposition qui rend hommage à l’audace de ses goûts est centrée sur sa fascination sans bornes pour les Nabis, notamment Félix Vallotton, Pierre Bonnard et Édouard Vuillard, peintres « ravis dans une extase » selon la célèbre formule du groupe. Sans oublier les Fauves Albert Marquet et Henri Manguin. Ce sont pourtant deux des plus illustres représentants helvètes de la modernité qui ouvrent l’exposition : Das Wetterhorn (1912), vue montagneuse au petit jour de Ferdinand Hodler où la roche ocre prend des teintes bleutées tranchant avec la neige, et Neve Nova (1910) de Giovanni Giacometti qui prolonge sa mélancolie avec une forêt dont la végétation ploie sous un frais manteau de flocons tirant sur un rose étonnant. Rien ici de comparable avec le prince des rêves Odilon Redon2, admiré par tous les artistes réunis. Son Papillon mirifique, presque fauviste avant l’heure, contient cette touche de merveilleux inspirante et fascinante. Même lorsqu’il se fait plus sombre, ses Marguerites, paysage d’orage possèdent une éclatante lumière d’étrangeté.

Si ses songes flamboyants conservent leur pouvoir inspirant, les toiles de Félix Vallotton marquent l’esprit et ne cessent d’étonner dans leur diversité. Des baigneuses au bord d’une rivière nimbée de vert sombre comme à la fin du jour ou encore une Mûlatresse (1913), assise de biseau sur une chaise, drapée de rouge dans une étole laissant apparaître son sein gauche. Ni bien installée, ni alanguie, son regard et sa moue attirent, comme le bleu de son collier et la rose qu’elle tient à la main, tête renversée. Son Penthée (1904), corps nu fuyant la forêt, le visage perclus de peur, poursuivi par une horde de Ménades adoratrices de Dionysos est à couper le souffle, à l’instar d’un Coucher de soleil avec barque échouée (1911) n’ayant rien à envier aux impressionnistes : le reflet du disque de feu dans la mer dessine un rectangle pur avant d’irradier, au creux d’une vague menaçant de casser, en myriades d’éclats allant d’un orange tangerine à un rose dragée. En résulte un chemin de douce lumière menant vers un sombre horizon, jusqu’à l’astre déclinant. Et lorsqu’il s’essaie au Nu couché au tapis rouge (1909), la courbure de rein et les hautes hanches du corps d’ivoire de son modèle tranchent avec le visage pomponné tirant sur le pourpre. Rougirait-elle d’ainsi se dévoiler ? N’oublions pas la magie d’une nature foisonnante de Bonnard, ses couleurs tranchantes, du vert clair au violet perclus de bleu sombre dans la clairière de La Promenade où une femme semble se protéger de ses appréhensions en tenant, devant elle, son ombrelle ouverte à l’horizontale.


Au Kunst Museum Winterthur, du 3 octobre 2020 au 21 février 2021

www.kmw.ch

1 Voir Poly n°155 ou sur poly.fr
2 Lire notre article sur l’exposition consacrée au peintre français à la Fondation Beyeler dans Poly n°165 ou sur poly.fr

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