Illusoire liberté

© Elisa Haberer

L’Opéra national du Rhin présente Das Liebesverbot de Wagner en première française. Entretien avec une habituée de la maison, la metteuse en scène Mariame Clément, sur cette Défense d’aimer.

Pour votre premier Wagner, pourquoi vous être intéressée à Das Liebesverbot dont la création en 1836 fut un véritable échec ? J’aime les œuvres inconnues, parce qu’il n’y a pas de références, de projections, d’attentes, de souvenirs… Tout cela est frais, comme si l’on se retrouvait face à une partition contemporaine, sans aucun repère pour le public.

Dans cette œuvre de jeunesse, reconnaît-on déjà Wagner ? On sent le futur compositeur de la Tétralogie par instants, en germe, mais l’œuvre est avant tout influencée par l’opéra italien – Rossini et Donizetti – et par Mozart. Dans la musique et les situations dramatiques, on pense souvent aux Noces de Figaro ou à L’Enlèvement au sérail.

C’est plus une comédie à l’italienne qu’un opéra allemand… L’œuvre approche le boulevard avec une intrigue remplie de quiproquos, très éloignée de la mythologie germanique, dont le thème est la liberté des corps et, par ricochet, celle des esprits. Le gouverneur allemand de Sicile a imposé le puritanisme sur l’île : interdiction de faire l’amour hors mariage, de l’alcool, du carnaval… Cette thématique a des résonnances contemporaines évidentes !

Est-ce à dire que votre mise en scène se situe dans un pays marqué par le fanatisme religieux ? J’ai horreur des transpositions faciles, des correspondances politiques hasardeuses. Elles sont souvent déplacées : Das Liebesverbot reste une comédie.

Est-ce vraiment une œuvre sur la liberté ? Ici, tous ces gens qui prônent l’amour libre et la résistance à l’oppression puritaine finissent par se marier ! Le happy end est très moral comme si chaque femme devait finir casée. C’est emblématique de l’opéra du XIXe siècle dont bien des héroïnes sont des femmes à la destinée caricaturale : sois vierge, sacrifie-toi et puis, à la fin, marie-toi ou meurs ! Le corset moral bourgeois mettait la femme sur un piédestal pour mieux l’éteindre et l’enfermer au final, alors que dans la période baroque elle est bien plus libérée.

En voyant les maquettes de décor, on a le sentiment d’être dans un café de Palerme – où l’opéra se déroule – voire de Vienne, cadre de Mesure pour Mesure de Shakespeare, dont Wagner s’est inspiré ? J’ai surtout voulu créer un univers cohérent, non reconnaissable, qui ne soit ni réaliste, ni daté, où les costumes sont modernes, mais fantaisistes. Il obéit à ses propres codes que le spectateur découvre au fur et à mesure.

À L’Opéra national du Rhin (Strasbourg), du 8 au 22 mai
À La Filature (Mulhouse) vendredi 3 et dimanche 5 juin
www.operanationaldurhin.eu

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