Éclats d’âmes

Avec sa compagnie Les Méridiens, Laurent Crovella, en résidence depuis deux ans au Théâtre de Haguenau, crée La Petite trilogie Keene. Rencontre en pleine répétition à l’Agence culturelle d’Alsace, à un mois de la première.

« À ce stade, nous avons des certitudes et des doutes. Peu des unes et beaucoup des autres », rigole d’entrée le metteur en scène. La scénographie unique choisie pour les trois textes de Daniel Keene[1. Voir l’article autour de Ciseaux, papier, caillou de l’auteur australien dans Poly n°137] juxtaposés pour cette Petite trilogie en impose. Le casse-tête de la gestion des espaces n’a pas été simple : chambre d’hôtel (Entre aujourd’hui et demain), zinc de bar, appartement, quai d’une gare et autres lieux de voyage (Avis aux intéressés) ou encore train (La Visite) s’inscrivent dans une structure mobile en demi-lune signifiant les lieux sans les montrer. Une rampe ajourée, montant sur deux niveaux d’arcs de cercles métalliques, imaginée depuis le début du projet en lien étroit avec la dramaturgie, « l’un nourrissant l’autre ». Dans ces pièces de “famille”, des gens de peu tutoient la grandeur humaine. La poésie de Daniel Keene, son économie de mots et ses révélations sensibles gorgées de pudeur confèrent une grande profondeur aux situations, pourtant communes.

© Michel Nicolas

Coincées dans un temps suspendu, littéralement Entre aujourd’hui et demain, une mère et sa fille fuient la violence du père. Réfugiées à l’hôtel, les voilà tiraillées entre avant et après, peur du passé et des incertitudes de l’avenir. Aux questions de l’ado répond la lassitude de l’adulte. Et l’on plonge habillement dans un rêve éveillé ou dans l’imaginaire de la demoiselle convoquant son père dès que sa mère s’éclipse ou s’endort. Souvenirs de leur rencontre, jeux affectueux, mais aussi, et surtout, interrogations sur l’enfance d’un papa mécanicien, touchant lorsqu’il évoque pêle-mêle le toit troué, les mains calleuses du grand-père et sa veste en cuir, toute usée, la voix maternelle chantant dans la cuisine, ses fâcheries avec l’orthographe et l’école… L’importance des silences, au-delà des mots. De ceux qui disent plus encore, jusque dans les colères, soudaines et effroyables, marquées à vif dans la mémoire.

Au pays des taiseux, tout flamboie dès que quelqu’un l’ouvre : l’amour filial qu’un père et son enfant se renvoient à demi-mots lors du voyage en train jusque chez la mère (La Visite). Mais aussi celui qui accompagne la lucidité froide et l’inquiétude d’un vieil homme, sachant que la mort le rattrape, soucieux du devenir de son fils de 40 ans ne sachant dire que « ‘pa » dont personne ne veut prendre la charge (Avis aux intéressés). « Chez Keene, les héros d’aujourd’hui sont des personnes de tous les jours, traversées les unes par les autres », livre Laurent Crovella. « Reste à polir les dess(e)ins ici esquissés ».

Photo de répétition de Michel Nicolas

Au Théâtre de Haguenau, jeudi 7 et vendredi 8 mars
03 88 73 30 54www.relais-culturel-haguenau.com

À Colmar, à la Comédie de l’Est, du 13 au 15 mars
03 89 24 31 78 – www.comedie-est.com

À Strasbourg, au Taps Scala, du 20 au 24 mars
03 88 34 10 36www.taps.strasbourg.eu

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