Avignon passe à l’Est

Un Homme © Pascal Bodez / Région Grand Est

La Région Grand Est soutient 16 compagnies dans le cadre du Festival Off d’Avignon. Reportage dans la cité des Papes.

Comment se faire remarquer (par les spectateurs, mais également les programmateurs) parmi les 1 592 propositions du désormais hypertrophié Festival off d’Avignon ? Pour tenter d’apporter une réponse à cette question et aider les différents acteurs du territoire, le Grand Est accompagne chaque année plusieurs compagnies sélectionnées par un comité d’experts. À la tête de la Commission Culture, Pascal Mangin affirme que cette initiative positionne « la Région comme un acteur culturel majeur, d’autant que La Caserne, où se produisent près de la moitié des compagnies, est un lieu désormais clairement identifié dans le paysage du Off ». Et de rajouter : « Nous avons en outre la volonté de renforcer la coopération transfrontalière, en particulier avec le Luxembourg. Une des manifestations de ce désir est l’accueil du Théâtre du Centaure avec un spectacle. » Présente en Avignon, la Ministre de la Culture du Grand Duché, Sam Tanson, marque sa satisfaction de voir « la manifestation concrète des liens existants entre nous. » Nous avons ainsi découvert Révolte (La Caserne, jusqu’au 22/07 à 13h15) montée par Sophie Langevin : pièce écrite en 2015 par Alice Birch, elle est un réquisitoire contre la société du travail qui déguise son absence d’humanité sous des dehors cool, le sexisme ordinaire, l’injonction impérative à faire des enfants, etc. Dans un cube blanc extrêmement lumineux, quatre acteurs virevoltants invitent à la rébellion : joutes verbales subtiles, relations humaines tissées sur le fil du rasoir… La pièce débute par des saynètes d’une cinglante délicatesse, mais au mitan du texte, tout bascule dans un maelström trash, laissant le spectateur perplexe et perdu dans des espaces de transe névrotique dont il a le plus grand mal à s’emparer.

On voudrait revivre © © Pascal Bodez / Région Grand Est

Parmi les autres propositions, mentionnons la mise en scène poétique d’Hippolyte signée Catherine Javaloyès (La Caserne, jusqu’au 22/07 à 18h45), texte où Magali Mougel revisite la tragédie antique, une pièce de la compagnie strasbourgeoise Le Talon rouge dont nous avions déjà rendu compte dans nos colonnes, tout comme Un Homme (La Caserne, jusqu’au 22/07 à 20h45). Dans cette création, Gaël Leveugle – de la compagnie lorraine Ultima Necat – porte au plateau la nouvelle éponyme de Charles Bukowski tirée du recueil South Of No North (Au Sud de nulle part) : « Dans cette petite histoire, Constance se pointe chez George, dans sa caravane, avec une bouteille de Whisky. Elle vient de quitter Walter. Les deux voient monter leur désir de se retrouver, mais dans le monde tel que le déplie Buko, ça n’est pas aussi simple que ça. C’est pas parce qu’on veut qu’on peut », résume-t-il. Influences bruitistes pour une bande son réalisée en direct à grands coups de frottements sur du polystyrène et autres vibrations hypnotiques, histoire qui se répète, obsédante, en boucle, mots qui s’entremêlent, poisseux jusqu’à la nausée, évolutions millimétrées des différents protagonistes : le spectateur est happé dans une histoire qui a la semblance d’un abîme… Dans Moi, Bernard (La Caserne, jusqu’au 22/07 à 15h), les Messins d’Astrov rendent un vibrant hommage à Bernard-Marie Koltès. Seul en scène, Jean De Pange propose une adaptation de la correspondance de l’auteur de Quai Ouest. Passionné et sincère, il nous entraîne dans une conférence théâtralisée : si certains mauvais coucheurs ont pu avoir l’impression d’assister à une version de Koltès pour les nuls, nous avons été touchés par la sincérité et le talent de l’acteur, mais aussi par la finesse du portrait dressé dont le résumé pourrait tenir en une (célèbre) phrase de BMK : « Je déteste le théâtre car ce n’est pas la vie. Mais j’y reviens toujours car c’est le seul endroit où l’on dit que ce n’est pas la vie. » Autre pièce en forme de déclaration d’amour, On voudrait revivre (La Caserne, jusqu’au 22/07 à 11h) de la Compagnie rémoise Claire Sergent est une ode à Gérard Manset : sur scène, Léopoldine Hummel et Maxime Kerzanet convoquent le plus secret des chanteurs dans la reconstitution foutraque d’un studio d’enregistrement pour un cri d’amour poétique à un artiste qui a toujours refusé de se produire sur scène. Dans ce spectacle musical rassemblant quelques ballades du maître parmi les plus connues (Il voyage en solitaire, Y’a une route, etc.), la magie nait de la simplicité des moyens, de l’humour et de la tendresse mêlées.

Crépuscule © Pascal Bodez / Région Grand Est

Enfin, mention spéciale au Crépuscule (Présence Pasteur, jusqu’au 22/07 à 18h15) où le Strasbourgeois Lionel Courtot adapte l’ultime dialogue entre le Général de Gaulle et André Malraux (retranscrit dans Les Chênes qu’on abat…), le 11 décembre 1969, à Colombey-les-deux-Églises. Servie par la partition impeccable de deux comédiens exceptionnels Philippe Girard (incroyable De Gaulle après avoir été un fantastique Mitterrand sous la direction d’Olivier Py dans Adagio) qui semble toujours être sur la scène du Français et John Arnold, autre monstre sacré du théâtre public, l’œuvre se déploie sur un plateau épuré, entre humour et solennité, panache et élégance, laissant une drôle d’impression à la sortie de la salle, celle de la fin irrémédiable d’un monde, celui des géants…

Festival Off d’Avignon, jusqu’au 28 juillet

www.avignonleoff.com

www.grandest.fr

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