Un vérisme du XXIe siècle : ainsi pourrait être résumée la mise en scène signée Silvia Paoli du classique diptyque Cavalleria rusticana / Pagliacci.
Brefs opéras du début de la décennie 1890, Cavalleria rusticana de Pietro Mascagni et Pagliacci de Ruggero Leoncavallo sont très souvent montés ensemble, dans la même soirée. Il est vrai qu’au-delà d’une réelle parenté sonore, ils partagent des préoccupations politiques communes. Ces œuvres véristes ambitionnent en effet de montrer la réalité sans fard, sur le plateau. Les deux compositeurs avaient ainsi la « volonté de représenter le peuple, qui était aussi le public de l’opéra ! Cela nous semble curieux de nos jours, mais au XIXe siècle, c’était un divertissement très populaire », souligne Silvia Paoli. Elle a transposé l’action aujourd’hui dans un cadre, commun aux deux pièces, évoquant une place entourée de grillages et jonchée de détritus, quelque part en Italie du Sud, à mille lieues de la carte postale. Cet univers brutaliste de béton tagué, avec, pour seule verdure, la mousse poussant entre les dalles disjointes, évoque plus Gomorra qu’un quelconque avatar de Vacances romaines…
Reliant les deux intrigues, elle propose une plongée dans un monde de marginaux – junkies, sans domicile fixe, petites frappes et autres alcoolos – débutant avec Cavalleria rusticana : « Au milieu de ce décor, il y a une femme, incarnée par Giusi Merli, une actrice formidable. Elle est une vieille dame pauvre qui concentre un pouvoir symbolique fort. Elle représente pour moi une « Madone clocharde ». Elle est, dans l’histoire, celle qui conserve une forme de spiritualité : le fait de partager, d’agir généreusement, d’être là pour les autres… Elle est le symbole de ce qui est resté vrai et authentique », résume la metteuse en scène. Au début de Pagliacci, ce personnage – qui n’existait pas dans les versions originales du XIXe siècle – meurt dans la rue : « On bascule dans le désespoir, notamment par le féminicide. Personne n’aide cette femme, tout le monde regarde. C’est toujours la même histoire. Chacun et chacune d’entre nous est le spectateur de cette misère. » Brassant des thématiques essentielles – du rapport de domination patriarcale à la place de la religion aujourd’hui, avec une immense croix de néon –, cette production sécrète une esthétique d’une grande subtilité qui renvoie aux toiles de Giotto et Masaccio, des influences revendiquées : « Il a fallu faire un travail très précis sur les couleurs, notamment des vêtements. Les costumes sont des habits modernes, mais ils correspondent aux teintes précises des tableaux. »
À l’Auditorium de l’Opéra de Dijon du 5 au 9 novembre
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