Au Bonheur du CEAAC

© Émilie Vialet

Jeu entre passé et présent, Au Bonheur explore l’esprit du lieu abritant aujourd’hui le CEAAC, qui fut jadis un magasin. 

Au Bonheur. Un titre qui claque comme celui d’un roman de Zola, clin d’œil au passé du bâtiment abritant le Centre européen d’actions artistiques contemporaines : longtemps, le Magasin Neunreiter fut en effet un espace de vente (et de stockage) de faïences, porcelaines, verreries, luminaires, balais et autres articles de ménage. Mais cet intitulé fait aussi référence au « fondateur du mouvement Arts and Crafts, William Morris, qui affirmait, dans l’Angleterre victorienne, que le bonheur pouvait être obtenu grâce au travail artistique », résume Alice Motard. Et la directrice de l’institution de poursuivre : « Des glissements incessants s’opèrent entre les différents régimes de valeur des objets : d’échange, d’usage, culturelle… » Joël Riff, qui a commissionné l’exposition avec elle, complète : « Les pièces ici rassemblées sont aussi un témoignage de la manière dont l’idéologie s’inscrit dans la forme et questionnent la place de celles et ceux qui les fabriquent, les choisissent et les disposent. » 


Les références aux typologies d’objets alors en vente ou aux modes de présentation – amoncellements, empilements… – qui étaient la norme dans cette échoppe de la Belle Époque sont multiples, que ce soit dans le Moly shop1 rassemblant des créations de céramistes et potiers alsaciens (disponibles à l’achat) ou dans des clichés de Françoise Saur. Si la photo- graphe alsacienne fait œuvre de mémoire familiale dans ses Accumulations, son modus operandi – stricte composition en studio, frontalité revendiquée – peut aussi faire penser à des images publicitaires. Entre art, design et artisanat, le visiteur demeure fasciné, au milieu de la vingtaine d’exposants – un terme revendiqué par les deux commissaires, tant leurs profils sont hétéroclites – par Nicholas Vargelis : passionné par la technique désormais révolue des ampoules à incandescence, il a notamment hacké le réseau électrique du CEAAC. Si Estelle Deschamp a imaginé une éblouissante installation faite de matériaux de chantier entrant subtilement en résonance avec l’espace art nouveau qui l’entoure, d’autres ont développé une vision plus politique, à l’image d’Alexandra Midal, qui réfléchit sur la communauté des Shakers2, de Julie Béna (avec ses luminaires humanisés qui sont tout sauf innocents) ou de Marianne Marić et ses Lamp-girls redonnant le pouvoir à la femme, qui n’est plus vue comme un… objet. 


Au CEAAC (Strasbourg) jusqu’au 8 janvier 2023
ceaac.org 

> Performances F for Fake or 20th Century Light de Nicholas Vargelis (25/11, 18h30) et Lamp-girls de Marianne Marić (17/12, 18h30) 

> Café Jojo, installation éphémère mettant en scène une sélection de vaisselle de la collection de la créatrice culinaire Johanna Kaufmann et un florilège de ses gâteaux (03 & 04/12, 16h30) 

1 Il est issu de Moly-Sabata, résidence d’artistes cultivant un intérêt particulier pour la terre cuite fondée en 1927 à Sablons. Sur place existe une boutique de céramique utilitaire dont ce shop éphémère est un avatar strasbourgeois. 2 Branche du protestantisme aux mœurs extrêmement austères (célibat obligatoire, propriété privée interdite, chasteté…), ayant développé un style de mobilier ultra dépouillé 

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