Humeur anthracite

Égérie de Givenchy, actrice de cinéma, comédienne au théâtre… Lou Doillon est aujourd’hui une chanteuse dont la voix de clopeuse a vite séduit public et critique. Ou agacé… À l’occasion de sa venue lors du Festival des Artefacts, entretien avec une artiste cafardeuse, mais radieuse, s’exprimant dans la langue de Birkin.

Vous n’êtes ni ange, ni démon ?

On me fantasme comme une personne extrêmement rock’n’roll et démoniaque, ce que je ne suis pas, au risque de décevoir. Je ne suis pas non plus toujours d’une grande douceur et d’une extrême gentillesse. Ça se balade. Mon père et son cinéma m’ont fait aimer l’ambiguïté, la zone de gris.

Le clip d’I.C.U., premier titre de votre album, vous montre flâner, puis écrire dans un café parisien ou sur le banc d’un parc. On vous imagine travailler de cette manière, observant le monde avec distance.

Avec la notoriété, je ne peux plus vraiment me le permettre. Il y a quelques années, lorsque je vivais à New York, je passais ma vie sur les escaliers d’incendie des immeubles, à faire la concierge, à épier. Pour I.C.U., le réalisateur Antoine Carlier est venu me chercher chez moi dans le onzième pour aller jusqu’à la Place de la Concorde. Il m’a suivi dans un parcours que j’empruntais quotidiennement au cours de cette période un peu sombre durant laquelle j’écrivais les chansons qui allaient se retrouver sur l’album.

La mélancolie est un moteur ?

Je dessine beaucoup, je tiens un journal intime où j’écris ce qu’il se passe dans mon quotidien et dans ma tête. Lorsque ça va très bien, que je suis dans le présent, il n’y a aucun désir de mettre ça sur papier. Le procédé d’écriture vient quand je suis dans des moments de doute ou de solitude, quand je me sens coincée dans le passé.

Pour composer, vous prétendez avoir utilisé une méthode proche de celle de votre père, Jacques Doillon, lorsqu’il tourne des films…

Mes chansons et les mélodies arrivent généralement comme des évidences. Par contre, je n’avais jamais rien enregistré et j’ai eu cette chance qu’Étienne Daho, qui a produit le disque, ressemble étrangement à mon père dans son exigence et sa sobriété. Avec lui, ce fut presque scolaire : nous étions au studio de 8h à 19h durant dix jours, point, à la ligne.

De vrais horaires de bureau…

Oui et tout était planifié d’avance ! On opère ainsi lorsqu’on n’a pas beaucoup d’argent, ce qui rejoint les méthodes de mon père. Étienne a eu cette élégance qui lui est propre de toujours vouloir être dans la retenue, de ne jamais rentrer dans une sorte de complaisance. Tout artifice fut strictement interdit. Durant l’enregistrement, nous avons imposé le “plan séquence” : chaque morceau a été joué live, en une seule prise.

L’amour impossible, le manque, l’absence… Les thèmes présents sur votre disque le sont également dans le cinéma de Jacques Doillon.

C’est exact, mais mon père est quelqu’un qui va de l’avant. Son dernier film, Un Enfant de toi, est un questionnement sur la nostalgie qu’il ne comprend pas du tout. Il l’a fait comme un scientifique désirant étudier un phénomène. La mélancolie me vient de ma mère, Jane Birkin, qui est entourée de fantômes, de photos de gens morts, d’objets : nos colliers de nouilles, nos dents de lait… Si elle avait pu garder nos nombrils, elle les aurait mis dans des boîtes ! On est à deux doigts de la névrose et des gros tocs. J’ai hérité d’elle et ça se retrouve dans mon disque… que mon père ne doit sûrement pas écouter.

C’est vexant que votre album ait été reçu comme une “bonne surprise” ?

Non, mais ce problème de légitimité est irrésolvable. Je suis la fille de ma mère et je n’ai aucune idée de ce que j’aurais fait dans la vie si cela n’avait pas été le cas. Je suis rongée de l’intérieur car je me pose souvent la question. Ça fait dix ans que des gens me proposent de faire un album, sans même savoir que je chantais, pour “faire un coup”, la pire raison du monde. Il faut avoir les épaules en béton armé pour refuser et beaucoup d’actrices qui se mettent à chanter n’en sont pas forcément dotées.

Au sein de votre famille, vous vous êtes longtemps perçue comme un “vilain petit canard”… qui n’a cependant pas coupé le cordon, tournant avec son père, jouant avec sa mère ou posant pour sa sœur3. Vous y avez une place à part ?

Ma famille, typique des années 1970, a la bizarrerie d’être totalement recomposée : je n’ai pas rencontré tous les frères et les sœurs de mes six sœurs ! C’est un joyeux bordel qui fonctionne très bien en interne, mais qui est complexe vu de l’extérieur. On pensait que j’étais la fille de Serge – mon “papa deux” –, que Lulu était le fils de Jane, etc. Kate est vue comme l’avant-Charlotte et moi comme l’après-Charlotte. Le statut d’“enfant de” ne demande aucune compassion car c’est une grande chance, mais j’ai dû vivre avec une image faussée, déformée de ma famille.

Comment avez-vous vécue la féroce quatrième de couv’ de Libé qui disait notamment qu’en tant qu’« enfant d’oligarques » vous pouviez « jouir des privilèges de [votre] caste sans faire [vos] preuves » ?

Il s’agissait aussi d’une attaque virulente à l’encontre de ma mère, de ma grand-mère et même de mon fils. Si Libé n’avait pas aimé mon album, il fallait le dire sur dix lignes et éviter cet appel à la haine. En tant que “fille de”, j’ai subi beaucoup d’insultes dans ma vie, mais là, c’était une parodie. J’aurais dû voir venir le truc car l’auteure de l’article, qui a écrit sur Serge, a un énorme problème avec la famille Gainsbourg… dont je ne fais pourtant pas partie. Quel est le fond du problème ? Serge lui a mis une main au cul, il y a trente ans, dans une boîte de nuit ?

Par Emmanuel Dosda

À Dijon, à La Vapeur, jeudi 7 mars – 03 80 48 86 00 www.lavapeur.com

À Strasbourg, au Zénith, dans le cadre du Festival des Artefacts, dimanche 28 avril – 03 88 237 237

www.festival.artefact.org/2013

cinquante nuances de grey

La musique accompagne le spleen de Lou Doillon. Leonard Cohen, les Kinks et Nick Drake (ou encore Guns N’Roses… mais c’est une fausse piste) composent la BO de sa vie. Depuis des années, elle écrit et compose, en cachette, plutôt que de s’allonger sur le divan d’un psy. Un jour, alerté par Jane Birkin, Étienne Daho découvre les talents de Lou et la pousse à sortir un disque regroupant quelques vieilles chansons choisies parmi une centaine et des nouvelles qu’elle enregistre vite fait, bien fait, en studio, dans des conditions live. Le résultat ? Un camaïeu, entre gris clair et gris foncé. Un folk sans âge évoquant Feist, Cat Power ou Patti Smith dont elle vénère « la musique et la présence sur scène ». La mode (« une langue universelle »), le théâtre, le cinéma et à présent la musique : Doillon, une girouette ? « Je n’appartiens à aucune famille », se défend-elle. « On a tendance à sectionner des pratiques qui sont les reflets d’un même métier, lié à l’imaginaire et à l’enfance : celui de raconter des histoires. »

Places, édité chez Barclay – www.loudoillon.fr

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