Femme actuelle 

Photo de Manuel Obadia-Wills 

Sous la boule à facettes, Clara Luciani chante haut et fort qu’elle refuse d’endosser le rôle de mère nourricière ou de putain vulgaire. Rencontre avec un Monstre d’amour au cœur lourd. 

Vous semblez incarner la femme d’au jourd’hui, à la fois fragile comme une fleur et armée jusqu’aux dents…
Être une femme contemporaine, c’est refuser de ressembler à ce qu’on attend d’elle ! Dans ma chanson Drôle d’époque, je dis mon rejet des clichés. Il faudrait être femme-objet et au foyer… J’ai beaucoup de références aux années 1960, tout en étant très heureuse de vivre en 2018 !

La frange façon Françoise Hardy sur votre front est-elle un clin d’œil à cette décennie ?
[Rires] Je pense m’inscrire dans une certaine tradition d’écriture et de forme de la chanson française que j’ai essayé de mixer à des éléments plus pop, davantage anglo-saxons. J’ai envie de porter l’héritage de Françoise Hardy, mais aussi de Jacques Brel, Barbara, Léo Fer- ré ou William Sheller. Cette famille m’a bercée et donnée envie de faire de la musique.

Vous faites partie d’une génération décomplexée vis-à-vis de ce que nous appelions la “variétoche”…

Je crois que nous avons dépoussiéré la variété et nous reconnaissons d’elle ! Ado, c’était la honte, mais des artistes d’aujourd’hui comme Juliette Armanet1 n’ont pas peur et sont même ers de citer Véronique Sanson. De la honte, on passe au cool… Pas autant que d’écouter du rap, mais presque !

Quelles sont vos influences rock ?
PJ Harvey, Nick Cave, Patti Smith ou Lou Reed m’ont poussé à jouer de la guitare électrique et d’utiliser des sons qu’on n’a pas l’habitude d’entendre dans la chanson française : échos, effets, réverbs, une “vraie” batterie…

Je ne l’entends pas trop chez vous…
Je ne prétends pas du tout faire du PJ Harvey, même si sur scène cette dimension rock est plus palpable. Un morceau comme On ne meurt pas d’amour est cependant presque shoegaze, rugueux… Il part en cacahuète à la fin.

L’ambiance générale du disque fait plutôt songer à Metronomy dont vous reprenez d’ailleurs The Bay.

Je suis d’accord avec vous, même si j’ai sur- tout pensé à Blondie durant l’enregistrement.

C’est une question idiote, mais pourquoi chanter The Bay en français ?
C’est très difficile de faire une bonne reprise : il faut pouvoir reconnaître l’original tout en lui insufflant quelque chose de soi. La traduction française m’a permis de m’approprier le titre et de l’emmener ailleurs. En plus, je dois vous avouer que mon accent anglais est très mauvais !

Votre album débute et se clôt avec une même affirmation, « Sous mon sein, une grenade », comme un slogan…
Cette sentence rappelle en effet « Sous les pavés, la plage » de Mai 68 ! Aujourd’hui, nous “consommons” des chansons, alors que je voulais sortir un véritable album, qui prenne l’auditeur par la main et lui raconte une histoire. Le disque, sous forme de boucle, commence et se termine sur une même note, une phrase identique… Elle est importante pour moi car elle se réfère à la soit-disant fragilité des femmes : derrière leur apparence angélique, elles peuvent faire aussi mal et autant de bruit que les hommes.

Ce paradoxe est également présent dans On ne meurt pas d’amour où vous vous décrivez comme machine… qui souffre et crie à l’aide !
Je chante sans doute On ne meurt pas d’amour pour essayer de m’en convaincre. Tout mon album est construit sur ce schéma de contradiction de sons et de propos. On va de la clarté à l’obscurité, comme dans la vie.

« On vit vraiment une drôle d’époque » dites-vous. Une époque où la question du genre est plus que jamais posée…
Des personnes comme Eddy de Pretto2 parlent en effet beaucoup de leur sexualité ou leur virilité. La question du genre est également présente dans mes morceaux, mais je m’en suis rendue compte plus tard, car mon disque est autobiographique avant tout. Il raconte ma vie de jeune femme, sans être volontairement féministe.

Dans Sainte-Victoire, vous n’êtes plus dans l’autobiographie, mais l’autoportrait, en vous regardant dans un miroir et en décrivant votre corps…
Rien ne dit mieux ce que je suis que mes chansons. Dire que j’observe mon reflet est presque métaphorique car finalement je ne fais que ça. Je donne des indication sur à quoi je ressemble physiquement, mais tout au long de l’album je m’inspecte, faisant un état des lieux : ici je suis abimée, là ça va, etc.

C’est un peu narcissique quand même, non ?

On ne va pas se mentir : mon métier l’impose et j’ai dû faire un travail incroyable pour monter sur scène et interpréter ces chansons d’une immense impudeur ! Je ne suis pas dans l’ego trip, mais je ne suis capable que de parler de moi.

 


Au Queen Kong Club (Neuchâtel), vendredi 23 novembre
case-a-chocs.ch 

Au Centre dramatique national (Besançon), samedi 24 novembre
cdn-besancon.fr 

À La Souris verte (Épinal), jeudi 13 décembre
lasourisverte-epinal.fr 

À La Laiterie (Strasbourg), vendredi 14 décembre
artefact.org 

À La Rotonde (Luxembourg), samedi 15 décembre
rotondes.lu 

Édité par Initial Artist Services
initial-artistes.com

1 Lire Poly n°202 ou sur poly.fr
2 Lire Poly n°213 ou sur poly.fr

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