Zone Grise

Croquis d’Adolf Riedlin (1947) pour la modification de sa fresque dans l’usine à gaz de Fribourg. L’occupation française exigeait la couverture du salut nazi, Collection Sammlung Dreiländermuseum

À Lörrach, les cent œuvres composant Art et nazisme questionnent avec intelligence la création dans la région entre 1933 et 1945.

À travers peintures, dessins et sculptures de douze figures du Rhin supérieur, l’Historienne de l’Art Barbara Hauß dresse le portrait « d’une époque où les choses s’avèrent souvent plus complexes que l’image dichotomique, noire et blanche, que l’on s’en fait », résume la commissaire américaine de l’exposition. En témoignent les toiles d’Emil Bizer et Adolf Riedlin, membres de la Sécession badoise, groupe désirant faire voler l’académisme en éclats à la fin des années 1920. Ils souhaitent néanmoins, à l’instar d’un Emil Nolde, contribuer à l’édification du nouveau Reich avec des compositions colorées et modernes tutoyant l’expressionnisme. Si le succès est au rendez-vous, les autorités jugent rapidement de telles œuvres peu compatibles avec la ligne officielle. Leurs pinceaux se figent ainsi dès le mitan des années 1930 s’approchant du conformisme d’un Hans Adolf Bühler. Les tableaux intensément hiératiques de ce nazi convaincu et enthousiaste héroïsent la geste germanique. Dans le très christique Retour à la maison (1936), un combattant de la Grande Guerre a la tête posée sur les genoux d’une diaphane jeune fille, incarnation de Germania, tandis que Tombe de soldat (1942) représente une sépulture en forme de “rune de mort”, fréquemment utilisée dans les codes funéraires de la SS. À ses pieds se devinent les vestiges d’un drapeau à croix gammée maladroitement recouvert par la suite d’une couche de pigments figurant une pelouse.

Au fil des différentes sections, de riches espaces documentaires replacent dans leur contexte les œuvres accrochées comme celles d’August Babberger, professeur aux Beaux-Arts de Karlsruhe à l’expressionnisme délicat. Dès 1933, il est écarté pour raisons politiques par le directeur de l’institution qui n’est autre que Bühler. Ce dernier lui propose de prendre la tête du département textile. Il refuse et démissionne, poursuivant néanmoins des démarches afin d’obtenir des commandes publiques. On découvre aussi deux frères Hermann et Adolf Strübe : le premier exalte le sang et la terre germaniques (avec des paysages éminemment politiques comme cette Forteresse détruite des années 1930, allégorie de la revanche à prendre sur la France), tandis que le second s’empêtre dans le compromis, naviguant à vue entre allégeance au régime et volonté d’indépendance picturale vaguement résistante. Certaines personnalités telles Adolf Glattacker et Eugen Feger firent tout pour faire oublier leur passé, devenant des figures respectées après 1945 : une nature morte aux magnolias vive et moderniste peinte par le second en 1933 voisine avec une autre, réalisée en 1944, où les bégonias semblent figés dans la rigidité mortifère du national-socialisme. Comme un éclatant résumé de la période.


Au Musée des Trois Pays (Lörrach), jusqu’au 30 mai 2021
dreilaendermuseum.eu

> En parallèle, le musée présente une exposition conçue par les Archives municipales de Lörrach, Honorée et redoutée zoomant sur la période nazie dans les communes de Brombach, Haagen et Hauingen

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