Une Utopie

La destinée d’une communauté anarchiste dans les Ardennes au début du XXe siècle : tel est le sujet de cette passionnante BD du nancéien Nicolas Debon.

Pour le théoricien libertaire E. Armand (pseudonyme de Lucien-Ernest Juin), « les colonies communistes sont des phares qui illuminent l’océan sombre et perfide des systèmes économiques basés sur l’arbitraire d’un petit nombre ou le déterminisme aveugle des majorités. » Cette phrase de 1904 décrit parfaitement le substrat théorique des multiples expériences de phalanstères post-fouriéristes qui naissent au début du XXe siècle où des hommes, souvent marqués par la Commune, tentent de créer des cellules de vie d’essence anarchiste exemptes de toute hiérarchie, dont la plus célèbre demeure la Communauté de Romainville. Dans les Ardennes, à Aiglemont, se développa L’Essai entre 1903 et 1909. Pour son fondateur Jean-Charles Fortuné Henry, fils d’un célèbre Communard, il s’agissait de créer « la cellule initiale de l’humanité future ». C’est cette expérience que narre Nicolas Debon (né en 1968) avec un immense talent. Le diplômé des Beaux-arts de Nancy plonge son lecteur dans les circonvolutions complexes d’une aventure humaine et politique en forme de rêve fou, celui d’un monde plus juste. « Tout ce que nous avons fait ici l’a été sans qu’un ordre soit donné » affirme Henry en préambule. L’auteur des remarqués Tour des Géants – chronique de l’épopée cycliste du Tour 1910 – et de L’Invention du vide – variation sur les pionniers de l’alpinisme – est au sommet de son art, livrant des planches d’une beauté à couper le souffle, paysages forestiers noyés sous la neige ou champs brûlés par le soleil. Il décrit avec finesse la naissance de la Communauté du pays de Rimbaud qui débute avec un seul homme accompagné de son chien, habitant dans une hutte de branchages construite de ses mains… Très vite des colons affluent, des constructions en dur naissent : fondé sur une économie agricole, L’Essai devient une centre politique publiant son journal, Le Cubilot (du nom du four utilisé pour la fusion de la fonte.) et attirant les sympathies d’Anatole France ou du futur révolutionnaire Victor Serge qui y voit une nouvelle Arcadie. Las, les jalousies – l’amour libre ne le reste jamais longtemps – et les tensions internes mènent à la ruine. L’Essai n’est pas transformé et l’aventure se finit dans la déréliction. Humain, trop humain.

L’Essai est paru aux éditions Dargaud (16,45 €)

www.dargaud.com

 

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