Scúru Fitchádu et le new punk

Scúru Fitchádu © Filipea Morim

Mêlant rythmes traditionnels des campagnes cap-verdiennes, beats electro et violence formelle du punk, Scúru Fitchádu veut mener la décolonisation à son terme.

Un son comme des couteaux qu’on aiguise, ou plutôt des chaînes que l’on brise… Le ferrinho, rudimentaire instrument du Cap-Vert formé d’une barre de métal frottée par un autre objet en fer, résonne dans chaque album et chaque concert de Scúru Fitchádu, alias Marcus Veiga. Depuis 2016, ce Lisboète né d’un père cap-verdien et d’une mère angolaise développe, loin des majors aseptisées et du luso-tropicalisme gentillet, une musique de combat, percutant le funaná traditionnel de l’archipel aux sonorités du punk le plus hardcore. Sorti en janvier dernier, son deuxième album, Nez Txada skúru dentu skina na braku fundu (”Dans le maquis obscur, dans un coin au fond d’un trou”, en langue kryolu) a tout du manifeste panafricain et anticolonialiste. Alors qu’on ne lui parle pas des mélancoliques mornas de Cesária Évora ni des coladeiras chaloupées de son “Petit Pays” d’origine ! Lui, ne veut pas oublier que ces îles volcaniques perdues au large du Sénégal, battues par les vents et dotées de peu de ressources naturelles, n’ont longtemps servi que de réserve à esclaves pour le royaume du Portugal. Inspirées des chants protestataires du temps des guerres d’indépendance et des vers assassins de Poesia com armas (Poésie avec armes, 1975), du poète guérillero angolais Fernando Costa Andrade, les onze pistes du disque dénoncent chacune à leur façon l’individualisme et « les vanités de l’époque contemporaine », propices à l’aliénation et à « la servitude volontaire » (Nez Txada skúru).

Scúru Fitchádu © Vera Palminha
Scúru Fitchádu © Vera Palminha

Transposant les combats des années 1970 aux territoires suburbains de nos métropoles européennes, Scúru Fitchádu – qu’on peut traduire par “Noir Profond” – se fait le porte-parole d’une lutte qui, selon lui, n’est pas encore finie. Si Manduku i triviment encourage les afro-descendants à la révolte collective, Moku na el s’impose comme le point d’orgue d’un opus furieusement politique, mêlant samples des hymnes anti-apartheid de l’ANC et discours du charismatique leader nationaliste bissau-guinéen Amílcar Cabral, juste avant son assassinat par la police politique portugaise en janvier 1973. Sur un son lo-fi un peu sale, au milieu des basses distordues, des cadences tribales et de la concertina dopée aux beats electro, Veiga en appelle à la décolonisation mentale, s’insurge contre le privilège blanc et veut déconstruire les préjugés inconscients auxquels sont en proie jusqu’aux anciens colonisés euxmêmes. Entre féroces paroles proférées d’une grosse voix métal et moments de répit à l’accordéon, Nez Txada skúru dentu skina na braku fundu puise aux sources des musiques rebelles et rend au subversif funaná – longtemps interdit sous le régime colonial – toute sa puissance révolutionnaire.

Scúru Fitchádu

À l’Espace Django (Strasbourg) jeudi 23 mars et au Gueulard Plus (Nilvange) samedi 25 mars
espacedjango.eulegueulardplus.fr

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