Poursuite

Photo d'Elisabeth Carecchio

En janvier, Julia Vidit adaptait La Bouche pleine de terre du serbe Branimir Šćepanović. Une nouvelle pleine de douce tristesse en forme de métaphore sur les contradictions humaines.

C’est l’histoire d’un quiproquo. Un besoin de solitude dans les montagnes accidentées aux forêts sauvages du Monténégro. Un homme malade effectue son dernier retour au pays natal en train, décidé à mourir dans ces grandes étendues comme il l’entend, en contemplant le sommet de la Prekornica de son enfance. Lorsque soudainement, la cohabitation avec l’Humanité de son compartiment le fait quitter le train dans un élan irrépressible vers la nature, il ne se doute pas qu’il croisera, quelques centaines de mètres plus loin, deux hommes venus chasser et pêcher comme chaque été. L’irruption dans ce décor idyllique d’un alter ego trouble l’harmonie de ce paysage déserté. Leurs regards se croisent avant que cet homme détonnant dans son costume de ville ne décampe aussi subitement qu’il était apparu. Par un malheureux instinct, les deux compères se lancent à ses trousses, sans trop savoir pourquoi, mus par la curiosité.

Photo d’Elisabeth Carecchio

Depuis 2007, la future directrice de La Manufacture de Nancy Julia Vidit tourne autour de ce texte de Branimir Šćepanović qui intercale habilement récit à la troisième personne du singulier (en italiques) pour le personnage principal et première du pluriel pour le duo armé de fusils. « L’auteur est lui-même réfugié en Serbie, le Monténégro étant un peu comme la Corse chez nous. Il est plutôt pessimiste sur le collectif et le communisme l’on sent en toile de fond derrière cet homme fuyant loin de tout pour décider de la fin de sa vie, mais qui s’en trouve empêché par la masse humaine qui s’agglomère à ses deux premiers poursuivants », confie la metteuse en scène. Une meute haineuse et drôlement pastichée dans une métaphore loufoque de la bêtise humaine. Les questionnements intimes et croisés du poursuivi comme des poursuivants se cristallisent dans une scénographie « s’éloignant le plus possible du paysage porté par le texte ». Un immense cône métallique, posé au sol, tourne sur une piste circulaire autour des deux comédiens. Obsédée par Le Réel et son double1, la directrice de la Compagnie Java vérité2 offre une plongée dans la métaphysique existentielle de la nouvelle avec ce « dispositif abstrait qui sert d’espace de projection pour celui qui le regarde. Ce mouvement circulaire est celui du soleil comme du passage de la vie à la mort, un miroir de projection du personnage en lui-même ». Avec le vidéaste et dessinateur Étienne Guiol, des projections de silhouettes chutant et se relevant jusqu’à la dernière fois composent une anamorphose lumineuse inspirée par le plasticien sud-africain William Kentridge. Le reflet de l’image déformée donne seul l’aspect du réel, questionnant l’impossibilité de la quête de vérité des acteurs de ce drame où se rejoignent – et se confondent – amour et haine jusque dans l’extase finale.


À la Manufacture (Nancy), mercredi 16 et jeudi 17 septembre
theatre-manufacture.fr

À l’Espace 110 (Illzach), samedi 3 octobre
espace110.org

À L’Espace Bernard-Marie Koltès (Metz), jeudi 5 et vendredi 6 novembre
ebmk.univ-lorraine.fr

À La Comédie de Reims, mardi 1er juin 2021
lacomediedereims.fr

javaverite.fr

 

1 Essai sur l’illusion du philosophe Clément Rosset paru en 1976 chez Gallimard
2 Sa pièce Le Menteur est encore en tournée le 17/12 à la MALS (Sochaux), les 21 & 22/01/2021 à l’Escher Theater (Esch-sur-Alzette) et le 18/03/2021 au Théâtre de Charleville-Mézières, voir article Here Lies Corneille dans Poly n°215 ou sur poly.fr

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