L’amour au temps du capitalisme

© Thomas Aurin

Avec un monologue râpeux et jubilatoire intitulé Kill your Darlings ! Streets of Berladelphia, René Pollesch fait exploser, dans un immense éclat de rire, les structures étouffantes du capitalisme qui corsètent notre société.

Le rideau s’ouvre. Six corps descendent des cintres, se désarticulant avec lenteur et lascivité sur l’obsédante rengaine du Boss Bruce Springsteen, Streets of Philadelphia. Ils demeurent allongés, comme morts, puis se relèvent lentement. La voix obsédante de Fabian Hinrichs, le seul à parler, nous enveloppe. On l’observe, stupéfaits, évoluer devant ce muet chœur de gymnastes / acrobates qui se renforcera au fil des minutes. Hypnotique. « Où sommes nous ? Dans une pièce trop étroite. Ou alors trop grande pour notre amour. Ce n’est pas notre faute, si l’amour ne nous réussit pas. » Le ton est donné. Le texte de René Pollesch, inspiré par Fatzer, ouvrage fait de fragments de Bertolt Brecht (d’une pièce inachevée qui aurait dû s’appeler La Ruine de l’égoïste Johan Fatzer) rassemblés par Heiner Müller est une réflexion sur l’individu et le groupe, une matière théâtrale et poétique dans laquelle « le rapport à la réalité n’est plus garanti par l’imitation ou l’illustration de la réalité, mais qui cherche à mettre à disposition des outils pour voir la réalité, comme le font les sociologues et les philosophes » (entretien entre René Pollesch et David Sanson réalisé en 2012 pour le Festival d’Automne).

Entre références brechtiennes – le chariot bâché symbolique de Mère Courage et ses enfants trône en permanence sur scène – et réminiscences pop, Pollesch gratte les relations humaines au plus profond, utilisant toutes les ressources d’un kitsch signifiant (dans son costume de poulpe, Fabian Hinrichs, son acteur fétiche, est irrésistible) pour poser la question de l’individu et du collectif, de la place de l’homme considéré comme une monade isolée, perdue dans un univers se déployant de plus en plus en réseau. Le groupe a-t-il encore un sens ? N’est-il pas devenu, sous des apparences cool, une structure oppressive ? Quel est l’espace dévolu à l’amour là-dedans ? Ultime avatar du collectivisme à vocation totalitaire, le capitalisme à l’ère d’Internet broie l’individu… Ce n’est certes pas une nouveauté, mais le prolifique metteur en scène allemand le montre avec une acuité, une poésie et un humour rarement atteints.

À Strasbourg, au Maillon, jeudi 21 et vendredi 22 mars
03 88 27 61 81 – www.maillon.eu
À voir également Die Zeit schlägt dich tot, une soirée gospel électrifiante de Fabian Hinrichs, au Maillon, dimanche 24 mars à 17h30

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