L’amour a ses raisons…

© Alain Julien

Rare opéra fifties signé Henri Sauguet d’après la pièce de Musset, Les Caprices de Marianne est une habile variation sur l’amour. Entretien avec un des artisans de cette nouvelle production, le metteur en scène canadien Oriol Thomas.

Quels sont les thèmes principaux des Caprices de Marianne ? Cet opéra est parsemé de touches de comédie et de satire et, malgré son dénouement tragique, se caractérise par sa poésie. Au centre du drame, on trouve l’amour impossible causant tristesse, mort, nostalgie, vide, destruction et deuil, sujets universels et particulièrement romantiques.

Est-ce Marianne le personnage principal de cet opéra comme semble l’indiquer le titre ? Le “triangle amoureux” la place en effet au cœur de l’œuvre. D’une part, nous avons Coelio qui, évoquant l’amour fou et la passion, la laisse indifférente. D’autre part, le mari Claudio qui, représentant l’autorité, le pouvoir, la force de l’ordre et du droit, l’opprime. Finalement, c’est Octave qui, incarnant l’amour, la liberté, la vie, la jeunesse et la fidélité en amitié, qui envoûte Marianne. Fatalité et vertige surplombent la scène, car l’amour et la mort font chavirer l’âme. Marianne, Octave et Coelio se voient ainsi confrontés à un passage initiatique dont les conséquences s’avèreront tragiques. Musset, en précurseur, conduit Marianne sur la voie des revendications féminines, alors qu’il ancre ses personnages masculins dans un carcan traditionnel.

Qu’incarne Claudio, plus précisément ? Il représente les vieilles valeurs immobilistes, absolutistes, rétrogrades, extrêmement autoritaires. À l’opposé on trouve la jeunesse, le désir de changer, de vivre intensément, le besoin d’un air nouveau. Pour sa part Marianne incarne la vie, le futur et le même désir de liberté. Coelio demeure, tout le long de la pièce, rivé à son amour, il n’en démord pas, aucune évolution chez lui, c’est un peu un figurant, une représentation de l’amour fou romantique qui se termine par la mort… tout aussi romantique. En tout cas c’est un personnage de deuxième catégorie.

© Alain Julien

Le vrai héros romantique est Octave… En effet. D’abord, il est humain et parce qu’humain, il évolue et donc, souffre. Et ensuite, il est doublement le véritable héros. Restant tout d’abord fidèle à Coelio, il incarne la loyauté, une valeur propre au Moyen-Âge, période encensée par le romantisme, toujours à la recherche d’un passé ou d’un ailleurs où les “vraies valeurs”, la noblesse des sentiments, l’héroïsme, la bravoure seraient de mise. On remet au goût du jour toute l’idéologie de l’esprit chevaleresque. Ensuite, par loyauté, par amitié pour Coelio et – surtout – par amour pour Marianne, il se trouve transfiguré. C’est le personnage qui subit la plus grande transformation, de “mauvais garçon”, qui erre sans but dans la vie, dévoyé et qui proclame son mal de vivre, il passe à un rôle de “saint” laïc. Car il perd tout : l’amitié (son copain meurt et en plus, dans la certitude qu’Octave l’a trahi), l’amour (car il ne s’autorisera pas à aimer Marianne), et même son pays (il va devoir s’exiler). Le sentiment de perte est total, c’est bien le héros romantique abandonné de tous et qui souffre comme un chien car c’est d’une incroyable injustice : tout ce qu’il prétendait, c’était d’aider son copain !

Octave n’est-il pas le reflet de Coelio, une sorte de “double” ? Ils sont en effet comme des frères, complémentaires et prêts à s’interchanger et ils le font dans une scène Coelio devrait, la nuit, se faire passer pour Octave. L’un s’exprime (et ne fait que ça), l’autre agit. Ils sont tous les deux amoureux de la même femme Coelio chante son amour pour Marianne, qu’Octave, par fidélité, ne se permet pas de chanter. Et la mort physique de Coelio est en quelque sorte la mort de tout espoir chez Octave. Les romantiques aiment beaucoup la mort, le désespoir…

Et Marianne, féministe avant l’heure, ne serait-elle pas l’incarnation d’un futur meilleur, d’un changement dans les mentalités, de la liberté, ou de la vie ? En quelque sorte elle est, elle aussi, la traduction, la manifestation de ce changement auquel tous les romantiques aspirent car elle veut changer le vieil ordre social qui l’enchaîne à Claudio. Si Coelio et Octave sont la représentation de toute cette jeunesse sans espoir, Marianne, elle, est condamnée à vivre sous la tutelle du vieil ordre, donc dépourvue totalement d’espoir. Il y a donc de la révolte qui gronde sur tous les plans. La révolte d’Octave peine à se définir, il cherche, mais ne sait pas quoi, tout comme l’amour entre lui et Marianne est à peine suggéré, peine aussi à voir le jour, jusqu’au dénouement final. Les Caprices de Marianne a toutes les caractéristiques du Romantisme; c’est une évasion dans une autre période et dans un autre lieu, à Naples, l’Italie rêvée des romantiques.

© Alain Julien

Qu’est-ce que l’œuvre a encore à dire à un spectateur du XXIe siècle ? On y parle d’une jeunesse qui se cherche, ignorant vers où le monde se dirige. Elle ne peut plus admettre les vieilles valeurs et expérimente de nouvelles façons de vivre et de se battre. Ce qu’on peut aussi associer à la jeunesse d’aujourd’hui. Nous sommes devant deux catégories de personnages. Les personnages qui évoluent ou autour de qui se noue le drame (Coelio, Octave, Marianne), que j’ai dirigé de façon plus réaliste pour qu’ils collent mieux à notre réalité ou à celle des jeunes d’aujourd’hui… Et les personnages qui sont esclaves de leur rôle social (Claudio, Tibia, la Duègne, etc.) que je présente davantage comme des caricatures… J’ai travaillé avec eux sur une gestuelle pour amplifier le caractère comique des thèmes musicaux qui les représentent.

L’opéra de Sauguet est-il un décalque de la pièce de Musset ?Non, c’est un condensé de la pièce avec des ajouts de texte qui ont permis de donner des airs aux interprètes et de créer certains duos et ensembles.

Sauguet, bien oublié aujourd’hui, a souvent été considéré comme le compositeur d’une musique “légère” : qu’en pensez-vous ? Son apparente légèreté cache un discours musical très élaboré (polytonalité et rythmiques complexes). La musique des Caprices de Marianne est très expressive, voire descriptive, transparente, fluide et accessible. Sauguet y transpose le romantisme italien. On sent le compositeur dans la nostalgie de la musique…

Pourquoi avez-vous choisi de conserver Naples comme lieu de l’action ? Les personnages, figurines de papier extrêmement fragiles, évoluent dans le décor esquissé, à la perspective trompeuse, de la Galleria Umberto 1er. C’est une Italie irréelle. Sa monumentalité oppressante accentue l’isolement et la vulnérabilité des protagonistes. Son dôme, tel une cage de verre, les enferme dans ce lieu, métaphore de leur inéluctable destinée : Marianne, captive de Claudio, lui-même prisonnier de sa propre jalousie ; Coelio esclave de son amour fou et Octave, doublement enchaîné et par l’amour pour Marianne et par la fidélité envers Coelio. Cette Galleria à la fois maquette, place publique, lieu de passage et allégorie de la vie attire les personnages, les convie à partager, à aimer, en un mot, à être.

Comment avez-vous travaillé la temporalité ? Musset place sa pièce à Naples au temps de François Ier. Entre Musset et Sauguet, existe un écart de plus de cent ans. C’est pourquoi nous nous sommes permis de jouer avec le temps en transposant l’œuvre quelque part entre 1950 et 1960, moment où l’opéra a été créé. Le décor est en noir et blanc : il s’agit de la meilleure représentation esthétique du drame. Nous nous sommes inspirés du cinéma italien de l’époque de la création de l’opéra.

À Metz, à l’Opéra-Théâtre, vendredi 21 et dimanche 23 novembre

03 87 15 60 60 – www.opera.metzmetropole.fr

 

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