Jeux de miroirs

Une scénariste, Valérie Mangin, et trois dessinateurs composent une trilogie en BD dont le titre constitue le programme, puisqu’il s’agit d’une fascinante mise en Abymes.

Qu’est-ce qu’il y a de commun entre Honoré de Balzac, Henri-Georges Clouzot et la créatrice de cette trilogie en BD, Valérie Mangin ? Rien, de prime abord… Ici néanmoins, leurs trois destinées entrent en résonance par-delà les siècles : dans le premier opus dessiné par un Griffo au sommet de sa forme et sombre à souhait – qui vous donne une puissante envie de relire la saga Giacomo C. (avec son complice Jean Dufaux au scénario) – l’existence de l’auteur de La Comédie humaine est revisitée… version schizo. Pourquoi La Revue de Paris suspend-elle la publication de La Peau de chagrin, la remplaçant par un feuilleton anonyme narrant la vie de Balzac ? Qui est l’auteur de ce canular sinistre ? On le saura à la fin d’un ouvrage paranoïaque en forme de conte philosophique mené tambour battant.

Le volume 2 débute sur le tournage d’un biopic de Balzac (enfin du Balzac du premier tome, pas du vrai) par Henri-Georges Clouzot au lendemain de la Deuxième guerre mondiale. La destinée du réalisateur du Corbeau va basculer comme celle du romancier. La réalité est à nouveau tordue pour le plus grand bonheur du lecteur plongé dans les années noires de l’épuration, où le cinéaste est soupçonné de collaboration. Le dessin de Loïc Malnati, glacé et réaliste, donne une belle épaisseur à cette fiction qui s’enchâsse dans la première partie de la trilogie. Et le processus se poursuit avec le troisième opus, où l’on découvre Valérie Mangin (dessinée par son compagnon Denis Bajram), étudiante dans le Quartier latin trouvant, par hasard, un album de bande dessinée réalisé par son homonyme intitulé Abymes. Le lecteur accompagne la trajectoire personnelle de celle qui a sur revivifier le héros créé par Jacques Martin (avec la série Alix Senator) dans des lieux qui lui sont familiers, de la librairie Brüsel à Pêle-Mêle (les connaisseurs apprécieront). Entre réalité et fiction, histoire fantasmée et événements vécus, nous sommes brinquebalés dans un album à la semblance d’un fascinant jeu de miroirs dont la fin est réussie – ce n’était pas gagné d’avance – car, à la fois, poétique et surprenante.


Les trois volumes d’Abymes sont parus chez Dupuis dans la collection Aire libre (15,50 €, chaque album)
www.dupuis.com

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