Haute tradition

© Günter Standl

Depuis 1992, Claus-Peter Lumpp tient les cuisines du Restaurant Bareiss de main de maître. Visite dans le royaume enchanté d’un des plus grands chefs allemands.

Claus-Peter Lumpp est un homme discret. La starisation galopante dans le métier ? Très peu pour le cuisinier. Loin de lui l’idée de succomber au miroir aux alouettes de la célébrité médiatique, d’ouvrir plusieurs adresses ou de multiplier les shows au quatre coins de monde. Il est présent à chaque service : « Lorsque je ne suis pas là, cela veut dire que le restaurant est fermé », glisse-t-il. Au mitan de la cinquantaine, il est pourtant une toque de très haut niveau, récompensé par trois étoiles au Guide Michelin depuis 2007. Humble, il ne se paie pas de mots, s’exprimant – et de quelle manière – dans des assiettes où éclatent la vérité du produit et la perfection d’un art acquis au contact de chefs comme Eckart Witzigmann et Heinz Winkler, deux des pères spirituels de la gastronomie allemande, ou Alain Ducasse. « Je me suis retrouvé chez lui, au Louis XV de Monte-Carlo, sans parler un mot de français. Heureusement, il y avait deux Alsaciens dans la brigade [rires]. C’était très dur, mais j’ai beaucoup appris de cette cuisine tellement naturelle. »

© Günter Standl

Stylé
Depuis qu’il a pris les rênes, en 1992, du Restaurant Bareiss (installé dans l’hôtel du même nom), il y développe une cuisine dont il résume le credo de manière claire : « Je suis très traditionnel : un bon produit, un bon gout, rien de plus. Le reste est trop moderne pour moi », s’amuse-t-il, se revendiquant « artisan ». La modernité à tout crin ? L’avant-garde ? Le show off ? Ce n’est pas l’affaire d’un homme privilégiant l’authenticité, refusant tout artifice, qui a été choqué l’année passée par la perte de la troisième Étoile, après plus de cinquante ans, de L’Auberge de l’Ill. Comme si le guide rouge avait voulu faire un exemple en sanctionnant en Marc Haeberlin l’un des plus brillants défenseurs du patrimoine culinaire. Avec des bases stylistiques françaises, la carte imaginée par Claus-Peter Lumpp donne un bel éclairage sur cette vision avec un tropisme pour le gibier. Il est vrai que la maison possède sa propre chasse d’une surface de quelque 500 hectares au cœur de la Forêt noire. Illustration dans la noblesse d’une selle de chevreuil rôtie, classiquement accompagnée de choux de Bruxelles braisés, dont la délicate puissance s’amuse de la vive sucrosité d’une poignée de cynorrhodons, plus communément nommés gratte-culs. Voilà graphique création entrant en résonance avec une compote d’épaule de l’animal associée au légume en purée. Double plaisir… Il en va de même avec un inimitable terre / mer dans lequel une brassée de risoni – ces géniales pâtes évoquant des grains de riz, également surnommées langues de moineau – crémeuses à souhait forment la litière d’un érotique duo où des cubes de filet de turbot breton jouent à cache-cache avec de larges copeaux de truffe blanche d’Alba pour une symphonie aux fragrances complexes. Une assiette saucée avec jubilation et application !

© Günter Standl

Architecturé
Salées ou sucrées, les spécialités de la maison, construites avec un soin méticuleux, sont placées sous le sceau de l’absolue perfection. En témoigne également la composition d’un strict et tendre tartare de filet de veau de lait, posé sur une crème de parmesan valsant élégamment avec des tubercules de cerfeuil braisées pour un ensemble mélodieux piqueté de quelques câpres. Œuvrant depuis seize ans de concert avec le chef pâtissier Stefan Leitner – à qui l’on doit des merveilles comme une tartelette aux limettes et à la noix de coco, point focal d’une assiette exotique où la mandarine est traitée en granité, tandis que le yuzu parfume une évanescente chantilly – le chef demeure d’une modestie confondante. « Le restaurant n’est qu’une pièce de l’ensemble. Tout fonctionne en harmonie » au Bareiss, hôtel magique possédant un des ensemble aquatiques les plus chics d’Allemagne, adresse de très grand luxe, véritable anti-palace où l’accueil demeure chaleureux, sans esbroufe, mais avec une grande prévenance, où chaque élément du décor est pensé avec un soin extrême. La cuisine de Claus-Peter Lumpp est un bel étendard pour cette adresse familiale d’exception.

© Günter Standl

Le restaurant Bareiss est situé dans l’hôtel du même nom. Ouvert du mercredi au dimanche. Menus de 125 à 245 €
bareiss.com

vous pourriez aussi aimer