Esclavage & Bonne conscience

Joann Sfar © Benoît Linder pour Poly

Après Les Passagers du vent de François Bourgeon, voici une nouvelle bande dessinée qui prend l’esclavage pour axe central. Elle est signée du prolifique Joann Sfar…

Le débit est rapide. Les idées s’enchaînent et le très volubile auteur du Chat du rabbin, de passage à Strasbourg pour une dédicace, saute avec aisance de l’une à l’autre, avouant, pour cette nouvelle série en trois volumes, « avoir tout écrit et savoir précisément où aller. Mes lecteurs se plaignaient toujours que je ne finissais pas mes histoires. J’avais envie d’arrêter de me prendre des tomates quand je n’achevais pas les trucs. » Nous voilà donc au XVIIIe siècle… et en plein dilemme. Pas facile en effet d’être un aristocrate tirant sa fortune du commerce triangulaire et d’être pétri de la pensée des philosophes des Lumières. Un paradoxe que le personnage résume en s’écriant : « Je voudrais pouvoir dormir sereinement avec la certitude que notre compagnie pratique un esclavage à visage humain. » Pour Sfar, La Comtesse Éponyme est un livre sur « la bonne conscience de gauche ». Et de préciser : « Ce qui m’amuse est d’être dans l’autocritique plutôt que dans la critique. Ce mec qui n’arrive pas à dormir parce que les noirs souffrent et qui, en même temps, ne va rien faire, très clairement c’est moi. »

Voilà une fable philosophique oscillant entre sérieux – les références à Voltaire ou à Montesquieu sont assumées – et drôlerie dont le comique se situerait dans une zone improbable, quelque part entre Les Valseuses et Marivaux. Le comte cogite, cogite… et sa femme s’ennuie, s’ennuie et va tromper son ennui et le comte dans le(s) même(s) mouvement(s). On est fasciné par cette « nana qui a l’air de sortir d’un tableau de Boucher. Elle croit être extrêmement malheureuse et se pâme sur le gazon à côté des esclaves… qui ont des raisons plus légitimes de souffrir. » Pour l’occasion, Sfar s’est tourné vers l’esthétique du XVIIIe siècle, celle des Watteau, des Boucher des Fragonard, « les vilains petits canards de l’histoire de l’art. Dès qu’on représente des jolies filles et des petits chiens plutôt que des corps suppliciés, on est toujours suspect de quelque chose. J’aime les nuages et les fesses de Boucher… Sans ironie, au premier degré. Mais aussi Sade et Restif de la Bretonne. C’est un peu Beigbeder au Siècle des Lumières, Restif ! » Voilà les références posées…

De cette BD relativement trash sera tiré un film réalisé par Sfar qui en a assez « de la dictature du public enfantin. J’ai envie de malaise, comme dans les comédies italiennes. Là où tout le monde se serait arrêté de filmer, on doit continuent de tourner une minute de plus. Atteindre ce moment de trop… » On attend cela avec impatience.

 

La Comtesse éponyme, premier volume des Lumières de la France est paru chez Dargaud (13,95 €)

 

www.dargaud.com
www.leslumieresdelafrance.com

 

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