Claus-Peter Lumpp, ou la tradition française dans nos assiettes
Légende de la gastronomie allemande, Claus-Peter Lumpp est au piano du Restaurant Bareiss depuis 1992, magnifiant la tradition avec une cuisine distinguée par trois Étoiles au Guide Michelin.
Dans un univers gastronomique de plus en plus fluide – liquide, pourrait-on même écrire –, Claus-Peter Lumpp fait figure de phare, voire de roc : les années passent, sa philosophie demeure, même s’il en affine sans cesse les contours. Et le chef, qui a fêté ses soixante ans en 2024, de la définir en toute simplicité : « La tradition : un bon produit, un bon goût, rien de plus. Une tradition française, avec quelques influences méditerranéennes. Le reste est trop moderne pour moi », s’amuse un créateur qui se définit comme « artisan, avant tout ». Un credo qui va comme un gant au Bareiss, véritable « anti-palace » familial de la Forêt-Noire, où tout n’est, comme dans le poème, « qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté ». Notre homme a intégré la prestigieuse maison en 1982 : il y est resté fidèle, malgré quelques escapades et un « grand tour », qui l’a mené chez des légendes de la gastronomie germanique – Heinz Winkler, Eckart Witzigmann – et internationale, puisqu’il a œuvré au Louis XV à Monte-Carlo, en 1990. Deux ans plus tard, il prenait les rênes du Bareiss, portant l’établissement au sommet.
Légère évolution
Au fil du temps, la cuisine de Claus-Peter Lumpp s’est épurée, gardant ses fondamentaux : en 2024, la salle du restaurant a connu un update pour épouser cette évolution. Exit les tentures compassées et le bleu roi, la profonde moquette et les chaises Louis XVI. Exprimant une contemporanéité qui n’a pas perdu ses racines, ce nouveau décor aérien, avec son parquet d’aujourd’hui, offre une douce oscillation entre reflets dorés et vert velouté. Un important travail a été fait sur la lumière – naturelle et artificielle – qui s’adapte à l’heure du jour et à la période de l’année. « Chaque convive doit littéralement sentir la saison. Cela passe par les cinq sens, le goût évidemment, mais aussi l’ouïe, l’odorat, le toucher et la vue », explique le maestro. Et de poursuivre : « Le plus important – et le plus difficile –, c’est de garder le même niveau, service après service. Pour cela, le travail d’équipe est essentiel, comme dans un orchestre. Je ne suis que le chef ; sans les autres, rien n’est possible, sans le produit, rien n’est possible. Je ne pourrai jamais travailler ce qui ne me plait pas. Je n’aime pas le chevreau par exemple, vous n’en trouverez pas dans mes assiettes. Il n’est pas souhaitable de faire des compromis : aller au plus profond des choses, chercher l’âme d’un plat, cela est réalisable uniquement lorsqu’on est à 100 %. »
Grande émotion
Si les variations sur le thème du foie gras sont incroyables de diversité – en ravioli, en mousse, poêlé, etc. –, elles sont aussi l’occasion d’alliances tantôt classiques (fragrances de porto et de caramel salé comme une évidence pour une terrine d’une finesse indicible), tantôt plus audacieuses avec des pointes piquantes de pomme Granny Smith et la douce amertume de l’amande. Sous ses dehors composites, l’ensemble est d’une fulgurante cohérence, proposant une réflexion kaléidoscopique d’une rare acuité autour d’un produit. Tout aussi ébouriffante est la déclinaison marine qui suit, avec un homard breton aux parfaits équilibres, illustrant la science de Claus-Peter Lumpp qui structure ses plats au cordeau, et pas uniquement sur le plan esthétique, ici, une composition abstraite d’une jolie géométrie, où le cercle entre en collision avec la ligne droite. Goûts et textures se répondent et se complètent dans une sacrée harmonie, entre asperges, estragon et sauce hollandaise (où éclate la force des crustacés), mais aussi entre décapode cuit et cru (dans une diaphane feuille de brick). Le reste du menu est à l’avenant jusqu’au dessert, œuvre du complice de toujours du chef, le pâtissier Stefan Leitner : une bombe chocolato-pralinée explosive grâce son alliance hautement inflammable avec vanille, citron vert et yuzu.
Le restaurant Bareiss est situé dans l’hôtel du même nom, Hermine-Bareiss-Weg 1 (Baiersbronn). Ouvert du jeudi au dimanche. Menus de 178 à 335 €
bareiss.com
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