Caspar David Friedrich ou l’invention du romantisme

Caspar David Friedrich : Der Wanderer über dem Nebelmeer (1818)

Rétrospective majeure, Caspar David Friedrich et les précurseurs du romantisme plonge aux sources vives qui ont nourri le peintre.

Prenant de l’avance sur les célébrations du 250e anniversaire de l’artiste, le Kunst Museum Winterthur – qui abrite le groupe d’œuvres le plus important du romantisme allemand en dehors du pays – explore l’univers de Caspar David Friedrich (1774-1840). Des toiles iconiques sont accrochées, comme Falaises de craie à Rügen (1818), dans laquelle l’harmonie éternelle de la nature semble contrariée par le tragique inhérent à l’existence humaine, ou Le Voyageur contemplant une mer de nuages (vers 1817) prêté par la Kunsthalle de Hambourg. Cette célébrissime allégorie de la destinée est aussi le parfait cliché d’un courant dont Les Souffrances du jeune Werther est le parangon littéraire. Une autre composition présentée, Homme et femme contemplant la lune (vers 1824), laisse ébahi, tant la représentation clinique des éléments du paysage – les racines et les branches tourmentées de l’arbre, le rocher dont la présence est physiquement perceptible, les vibrations de la lumière… – est placée au service de l’expression de la puissance d’un sentiment proche du spleen. Voilà qui illustre de belle manière le credo d’un artiste qui affirmait : « Le peintre ne doit pas peindre seulement ce qu’il voit en face de lui, mais aussi ce qu’il voit en lui. »

Caspar David Friedrich
Caspar David Friedrich, Mondaufgang am Meer, 1822, Staatliche Museen zu Berlin,
Nationalgalerie

Si cette exposition présente des œuvres exaltantes de Friedrich – générant, chacune, des kyrielles d’interprétations possibles –, son mérite premier consiste à installer un dialogue avec celles de ses prédécesseurs, faisant naître de singuliers parallèles. Ses paysages sont en effet à la fois un accomplissement et une transcendance des tableaux de ceux qui l’ont précédé. Ainsi le sublime Brume matinale dans les montagnes (1808), tourbillon mystique où les éléments s’amusent de masses minérales colossales, entre-t-il en résonance avec des compositions de Felix Meyer – dont la toile de 1700 est encore pétrie d’un grand classicisme avec ses falaises gelées et sombres – ou Caspar Wolf. L’artiste helvète fut le premier à peindre les Alpes avec une sensualité qui se mêle à l’objectivité annonçant le romantisme dans Le Glacier inférieur de Grindelwald (1774), irradiant de délicates nuances d’un vert opalescent, quasiment surnaturel. D’autres voisinages éclairants montrent que Friedrich se place dans le sillage de Jacob van Ruisdael (les liens souterrains, mais manifestes, unissant Paysage avec chêne, peint vers 1660, à une huile de 1811 sont étonnants), Jan Both ou Claude Gellée, dit “le Lorrain”. Ils furent, chacun à leur manière, les précurseurs de la dramaturgie romantique.

Caspar David Friedrich
Caspar David Friedrich, Kreidefelsen auf Rügen, 1818, Kunst Museum Winterthur,
Stiftung Oskar Reinhart

Au Kunst Museum / Reinhart am Stadtgarten (Winterthur) jusqu’au 19 novembre
kmw.ch

> À ne pas manquer Caspar David Friedrich, un Art pour une nouvelle époque à la Kunsthalle de Hambourg (15/12/23-01/04/24)

hamburger-kunsthalle.de

vous pourriez aussi aimer