Carmen crue

© Hans Jörg Michel

La mythique mise en scène de Carmen de Bizet que Calixto Bieito imagina en 1999 est reprise au Theater Basel. Entre franquisme déliquescent, sexualité torride et bohémiens très “kustiriciens”, elle n’a pas pris une ride.

Depuis sa création remarquée à l’hispanique Festival Castell de Peralada, la production de Carmen du metteur en scène catalan Calixto Bieito a tourné dans les plus grands théâtres d’Europe. On la vit récemment à Barcelone avec un couple de rêve, Béatrice Uria-Monzon / Roberto Alagna. La voici à Bâle, dans une nouvelle et harmonieuse distribution et sous la baguette alerte et inspirée de Gabriel Feltz. Sur la scène, pas de décors… ou si peu : une cabine téléphonique, un mât où flotte mollement le drapeau espagnol et une immense silhouette de taureau apparaissant à l’Acte III, décalque parfait du logo de la marque de spiritueux Osborne. L’action se déroule dans un espace temporel flou, quelque part entre la fin des années 1970 et le début des eighties, entre franquisme déclinant et Movida naissante, entre machisme traditionnel et libération sexuelle. Les gitans, eux, semblent tout droit sortis d’un film d’Emir Kusturica avec un look improbable et des Mercedes chargées jusqu’à la gueule de télés de contrebande envahissant la scène.

© Hans Jörg Michel

Le parfum de soufre qui a pu entourer une production jugée provoc’ il y a quelques années s’est dissipé : on a vu largement “pire” depuis… Ne demeure qu’une mise en scène paradoxalement épurée où l’important se concentre sur le jeu des chanteurs et les mouvements de foule. Quelques excès inutiles (les scènes de sexe presque explicites dans la taverne de Lillas Pastia avec Mercedes et Frasquita, cette dernière s’essuyant la bouche après une pipe ardente) sont à déplorer, mais l’ensemble trouve son sens dans une économie de moyens de tous les instants, (re)donnant leur puissance aux éclairages et à des artefacts aussi ancestraux que des fumerolles. Entre Eros et Thanatos, vulgarité et sensualité, la Carmen de Calixto Bieito est une femme fatale éternellement libre… C’est comme si le metteur en scène grattait le mythe jusqu’à l’os, nous entraînant au centre d’un « cirque plein de sang ». La force de cette production éclate dans l’extraordinaire scène collective du quatrième acte (« Les voici, les voici, voici la quadrille ! ») : face au public, les chanteurs, adultes et enfants rassemblés, simplement séparés de la fosse d’orchestre par une corde tendue à un mètre du sol, sautent sur place, agitent leurs bras… Voilà un instant suspendu, une chorégraphie construite sans afféterie aucune où la musique est parcourue d’une indicible énergie vitale qui, à elle seule, justifie le déplacement à Bâle.

À Bâle, au Theater Basel, jusqu’au 17 juin. Prochaines représentations le 30 janvier puis les 3, 5, 10, 18 et 22 février
+41 61 295 11 33 – www.theater-basel.ch

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