Bons baisers de Russie

©Grégory Massat

Les trois dernières symphonies de Dmitri Chostakovitch sont réunies en un cycle par l’Orchestre philharmonique de Strasbourg. Son directeur musical et artistique Marko Letonja en livre les clefs.

Quelle idée irrigue ce cycle Chostakovitch ?

Il me semble essentiel de faire écouter au public les trois ultimes symphonies de celui qui fut le maître du genre au XXe siècle. Elles sont mal connues et éloignées de l’image d’un compositeur trop souvent réduit à sa dimension politique : sa relation complexe avec le pouvoir soviétique qui s’incarne dans le “tube” qu’est la Symphonie n°5 écrase tout ! Avec ces oeuvres, se découvre un Chostakovitch complexe et intime.

Le premier concert rassemble sa Symphonie n°15 et son deuxième Concerto pour violoncelle (24 & 25/01) : quel est son substrat ?

Ce sont des vendanges tardives avec une symphonie testamentaire pleine de lumière, mais également parcourue de zones d’ombres. Cette pièce éminemment mystérieuse et dense – dont j’explore depuis quelques mois les arcanes – permet de mieux comprendre quel homme il était. Elle entre en résonance avec le Concerto que j’ai confié à notre artiste en résidence pour 2019, Jean-Guihen Queyras1, un des plus intéressants violoncellistes d’aujourd’hui.

Pourquoi avez-vous ensuite choisi de rassembler des partitions de Haydn – le père de la symphonie – et Chostakovitch (31/01 & 01/02) ?

La Symphonie n°49 du premier et la Symphonie n°14 du second se répondent, entretenant un dialogue dark. Le Haydn qui s’amuse créant des effets pour surprendre le public et le Haydn qui puise son inspiration dans les musiques populaires hongroises ou croates sont bien connus. Son côté obscur, beaucoup moins. Ce bloc d’une puissante et expressive noirceur va comme un gant avec une symphonie presque chambriste de Chostakovitch rythmée par des poèmes lugubres de Rilke, Apollinaire ou Garcia Lorca.

Dans le dernier concert (07 & 08/02), quel est le rapport entre les symphonies de Haydn et Chostakovitch ?

C’est très différent. La Symphonie n°73 de Haydn, dont le caractère presque mécanique est obsédant, est placée en ouverture du concert pour créer un contraste puissant avec la Symphonie n°13 de Chostakovitch sous-titrée Babi Yar. Elle fait référence aux persécutions des Juifs à travers l’Histoire en évoquant un des plus grands massacres de la Seconde Guerre mondiale qui s’est déroulé en Ukraine2. Il me semble essentiel de la jouer en ces temps troublés.


1 Il se produira en musique de chambre avec des membres de l’OPS (27/01, Cité de la Musique et de la Danse) – jeanguihenqueyras.com

2 Les 29 et 30 septembre 1941, plus de 33 000 Juifs sont convoqués au lieu-dit Babi Yar, où ils sont massacrés à la mitrailleuse par les Einsatzgruppen

Au Palais de la Musique et des Congrès (Strasbourg), jeudi 24 et vendredi 25 janvier, jeudi 31 janvier et vendredi 1er février, jeudi 7 et vendredi 8 février

philharmonique.strasbourg.eu

Opus Café en direct avec Marko Letonja et Jean-Guihen Queyras sur la radio Accent 4 (24/01, 12h) – accent4.com

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