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Les paradis perdus de Christophe Blain, cow-boy bédéiste à Bâle

Christophe Blain © Derek Li Wan Po

Explorant l’œuvre protéiforme de Christophe Blain, Paradis perdus  permet de (re)découvrir un auteur qui a contribué à révolutionner la BD,  obsédé par les sixties en général et le western en particulier.

Les Paradis perdus, qui donnent son titre à l’exposition, sont « des années que je n’ai pas connues, la décennie 1960 et le tout début des seventies. Pour moi, il s’agit d’une période hors du temps, idéalisée et située dans mon imaginaire. C’est le début de la société de consommation et de la culture pop », balance Christophe Blain (né en 1970). Très tôt, notre homme est biberonné par la BD, de Pilote – titre que lisait son père, et dont il récupère de vieux numéros –, à Pif, qu’il dévore, « avec des séries incroyablement bizarres et expérimentales, inventives et vivantes, comme Les Rigolus et les Tristus de Cézard ou Rahan de Lécureux et Chéret. Je fais référence au « fils des âges farouches » tout le temps – dans les découpages, les cadrages – mais ça ne se voit pas, c’est complètement crypté. » 

Il était une fois dans l’Ouest

Et puis, il y a le western, avec lequel il entretient « une relation névrotique depuis tout petit, parce qu’on était baignés dedans, à la télévision. J’y ai trouvé un espace d’imaginaire et de liberté et n’en suis jamais sorti, même si j’ai eu du mal à l’assumer à l’adolescence », explique-t-il. Après une première incursion dans le genre avec David B. au scénario – Hiram Lowatt et Placido –, c’est l’Ouest qui fournit la matrice de Gus (quatre volumes parus), « un personnage diamétralement opposé à Lucky Luke, qui avait généré mes premières émotions de lecteur. Il est son versant sombre. Gus est ultra nerveux, mauvais, égoïste, brutal. Il court les filles et braque les banques, quand il n’est pas traversé par des épisodes d’angoisse dépressive. Il pourrait être un des méchants des albums de Morris, comme Pat Poker ou Phil Defer », résume l’auteur. Dans la première salle de l’exposition, se déploient de somptueuses planches originales mettant en scène cet anti- héros au long nez – « inspiré de Mister Snoid de Crumb » – et ses comparses, qui ressemblent aux personnages des films… de Woody Allen ou François Truffaut. Christophe Blain décrit en effet avec maestria la psyché humaine, avec ses excès et ses petitesses. On se perd dans les cases avec jubilation dans une lecture au premier degré, en sachant que d’autres niveaux sont possibles, puisque les références évidentes ou (très très) cachées abondent : une femme est ici vêtue comme  Barbara Stanwyck dans Quarante tueurs de Samuel Fuller (1957), tandis qu’une palanquée de seconds rôles du « Nouvel Hollywood » piquètent les histoires, de Roy Scheider à William Devane, en passant par DeForest Kelley. Personne ne les reconnaît ? « Ça n’a aucune importance », se marre l’auteur. Plus tard, il s’est aussi attaqué à Blueberry avec Amertume Apache (sur un scénario de Joann Sfar) en trouvant la juste distance entre hommage au « mythe Giraud » et touche personnelle : du grand art ! Annoncé depuis longtemps, l’opus 2, Les Hommes de Non-Justice, est attendu avec impatience : « C’est pour bientôt », glisse Blain, dans un sourire. 

La Chevauchée fantastique 

La suite de l’exposition consiste en une plongée dans l’œuvre protéiforme d’un acteur majeur de la « nouvelle bande dessinée », qui a révolutionné le 9e Art avec Blutch, Sfar et consort. Le brio graphique de Christophe Blain éclate dans des saynètes, magnifiques, extraites d’Isaac le pirate (cinq épisodes parus) ou de La Fille, road movie graphico-musical en forme d’ode à une femme puissante, réalisé avec Barbara Carlotti. Il s’exprime aussi à travers des planches originales du Monde sans fin, BD documentaire dans laquelle il questionne les enjeux environnementaux avec Jean-Marc Jancovici, expert en questions énergétiques et climatiques (plus d’un million d’exemplaires vendus). Pensons aussi aux deux tomes de Quai d’Orsay, où il est un des premiers à s’attaquer à l’exercice du pouvoir dans un roman graphique, mettant en scène le virevoltant Alexandre Taillard de Vorms, clairement inspiré de Dominique de Villepin. Grâce à son dessin délié – dont la fluidité, l’énergie et la souplesse évoquent parfois étrangement Franquin ; toujours les années 1960 – et à un découpage cinématographique de la planche, Christophe Blain s’est imposé comme un des plus grands conteurs de notre temps.


Au Cartoonmuseum Basel – Centre pour l’Art narratif (Bâle) jusqu’au 15 mars 2026
cartoonmuseum.ch

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