Voyage aux thermes

Il Viaggio a Reims © Patrick Pfeiffer

Pour sa 26e édition, le festival Rossini in Wildbad propose un programme de bel canto autour du compositeur et de ses contemporains. Compte rendu.

Sertie dans une jolie vallée de Forêt Noire, Bad Wildbad est une adorable petite station thermale accessible en voiture mais aussi en train : les rails s’arrêtent juste devant le Palais thermal, superbe bâtisse de style orientaliste bien plus calme et secrète que les thermes de Caracalla. À quelques minutes des bains, enfouis dans un parc ravissant, les Kurhaus, Kurtheater (joli petit théâtre à l’italienne de deux cents places tout récemment restauré) et Trinkhalle (buvette de station thermale qui sert de lieu de spectacles principal du festival avec quatre cents sièges).

Quel rapport entre Gioacchino Rossini, la station thermale et un festival de musique ? Il se trouve que le célèbre compositeur à la retraite était venu soigner ses troubles neurologiques en 1856 et que le séjour lui a été bénéfique au point de raviver la vitalité créatrice dans ses dernières années. Il fallait bien du courage pour créer, à partir de ce mince événement, un festival de musique belcanto dans un endroit pareil, surtout avec la concurrence du festival de Pesaro, dans la ville natale du compositeur. Mais force est de constater que l’événement a trouvé son rythme de croisière en garantissant une haute qualité de spectacles et aide à la découverte de jeunes voix, tout en produisant des CD à intervalles réguliers. La 26e édition de Rossini in Wildbad permet de retrouver le Königliches Kurtheater (théâtre de cure royal) qui rouvre enfin après travaux et ce pour ses 150 ans d’existence. Au programme, trois opéras, comme d’habitude, des concerts et récitals et une master class en matinées comme en soirées, tout à côté des chanteurs et musiciens qu’on croise partout dans la toute petite ville. L’ambiance est sympathique, reposante et plutôt dépaysante. On peut, si le voyage n’est pas possible, se faire une idée de la haute qualité des spectacles avec les enregistrements des années précédentes parus en CD chez Naxos, notamment pour Semiramide, Le Siège de Corinthe de Rossini ainsi que des Briganti de Mercadante ou encore du Ser Marcantonio de Stefano Pavesi donné en première mondiale pour la prise de son. Voici une petite chronique de quatre jours de festival, du jeudi 17 au dimanche 20 juillet 2014.

Il Viaggio a Reims © Patrick Pfeiffer

Il Viaggio a Reims

La première journée est très excitante, car on y donne en soirée à la Trinkhalle la Première du Viaggio a Reims, ou plutôt la Première en version scénique pour le festival, puisque l’opéra a déjà été proposé quelques jours plus tôt en version intégrale concertante, donc sans mise en scène, avec une distribution légèrement différente. Production majeure du festival et surtout œuvre de la sélection la plus connue du public, ce Voyage à Reims est tout de même une gageure. Pas moins de 18 voix sont nécessaires pour l’opéra qui fut créé à l’occasion du couronnement de Charles en 1825. Coincés dans une auberge de Plombières parce qu’il n’y a plus de chevaux pour les amener à Reims, des voyageurs venus des quatre coins de l’Europe se crêpent le chignon, flirtent ou se distraient en s’affrontant dans des joutes oratoires qui sont autant de parodies lyriques que de performances vocales. Il faut donc réunir une distribution de tout premier plan, notamment pour l’ensemble de quatorze voix, « Gran Pezzo Concertato », clou de l’opéra. Et à cet égard, pas de déception : les chanteurs nous offrent une prestation superbe, brillamment enlevée, dotée d’une fougue réjouissante. D’ailleurs, le tempo est ici particulièrement rapide, les voix – pas toujours exceptionnelles mais satisfaisantes pour la plupart – font largement l’affaire et l’interprétation des uns et des autres montre une vraie direction d’acteurs. La mise en scène de Jochen Schönleber, directeur artistique du festival, est inattendue. Alors que l’opéra se déroule dans les Vosges dans une station thermale, on se serait attendus à voir exploités les parallèles avec la ville de cure qu’est Bad Wildbad. Rien de tout cela ; le metteur en scène a décidé de “contemporanéiser” le propos en plaçant les protagonistes dans un aéroport où un vol vient d’être annulé. Judicieuse idée et cas de figure connu par la plupart des auditeurs présents, on peut l’imaginer. L’idée permet de nombreux gags visuels et dynamise l’action. L’espace de la scène relativement étroite est utilisé au mieux. Quelques chorégraphies sont à la limite du mauvais goût tout à fait assumé, mais la satire s’y prête bien. Petit détail impressionnant : les chœurs dansent et chantent en même temps, ce qui ne laisse pas de surprendre agréablement, les figures proposées étant plutôt élaborées. En ce qui concerne les voix, il faut saluer la performance de Sofia Mchedlishvili dans le rôle de la comtesse de Folleville, pétillante et à l’aise dans tous les registres. La jeune femme vient d’ailleurs de gagner le prix international du belcanto donné à Bad Wildbad. Guiomar Cantó est en revanche bien moins convaincante dans le rôle de Corinne, certes exigeant, où elle s’avère trop retenue. Olesya Chuprinova, quant à elle, est la belle surprise de la soirée, épatante de justesse et de drôlerie dans le rôle de la Marquise Melibea. Chez les garçons, c’est surtout Baurzhan Anderzhanov qui s’impose en Lord Sidney, dominant une distribution par ailleurs bien équilibrée. On sort de ce spectacle juvénile, rondement mené et de haute qualité en pleine forme et ravi.

Portait d’Adriana Hölszky

La journée du vendredi est très détendue, puisque rien n’est prévu en matinée et qu’un spectacle seulement est prévu le soir, qui n’a rigoureusement rien à voir avec le belcanto. En effet, le directeur artistique s’est fait plaisir et a invité Adriana Hölszky qu’il présente au public comme l’une des figures majeures de la création musicale allemande. La compositrice germano-roumaine a déjà Outre-Rhin obtenu de nombreux prix. Le programme du soir est consacré à ses œuvres pour accordéon et violon, interprétées par Stefan Hussong et son élève Lulu Wang à l’accordéon alors que c’est Monika Hölsky-Wiedenmann, la sœur jumelle de la compositrice pour qui les œuvres ont été le plus souvent créées, qui tient le violon. On est ici bien loin des beautés recherchées dans le belcanto : accordéon et violon se superposent à tel point qu’on ne sait plus quel est l’instrument qu’on entend, la recherche musicale entrecroisant les sonorités et les effets des deux instruments avec une exigence qui met à rude épreuve les habitudes des auditeurs. On reste pantois devant les difficultés de ces partitions et de la virtuosité des interprètes, notamment de Stefan Hussong, admirable de technicité et capable de sortir des sons franchement inattendus de ce qui, ici, n’a plus rien à voir avec le musette d’une Yvette Horner. Le violon, quant à lui, produit des sons étranges voire animaliers dans Klangwaben de 1993, où l’on entend des abeilles effectuer un curieux ballet.

Rossini & Co., scènes d’opéras

La journée du samedi permet de revenir au romantisme, à des sonorités plus conventionnelles et plus directement agréables. On commence par un concert ambitieux en début d’après-midi : une suite d’airs de bravoure s’enchaîne avec du Rossini, bien sûr, mais aussi du Mozart, du Donizetti et même du Bellini, pourtant si exigeant et périlleux vocalement. C’est la master class de la basse bouffe Lorenzo Regazzo qui se produit dans un rendez-vous annuel, le Rossini & Co. On nous précise bien avant le récital que le travail en commun n’a débuté que quelques jours auparavant. Hélas, cela se ressent fortement avec quelques vraies frustrations, notamment pour le duo de Don Pasquale où les voix n’arrivent pas à s’accorder et se heurtent péniblement. De nombreux interprètes viennent d’Asie et si leur musicalité est évidente, la prononciation laisse parfois franchement à désirer. Un bémol de taille pour le choix du répertoire : l’air de Giulietta « Eccomi in lieta veste » des Capuleti e i Montechi de Bellini, extraordinairement difficile, ici massacré par Cui Jia Min. D’autres en revanche explosent de potentialités, tels Alessandra Contaldo et Anna Werle et tout particulièrement la basse Graziano Dallavalle, à suivre. Lorenzo Regazzo vient, pour sa part, faire un peu de figuration dans l’air de Zerlina, « Batti, batti, o bel Masetto », en fait des tonnes et se montre particulièrement drôle. Il parvient assez bien à faire jouer les jeunes chanteurs. Le programme se termine avec un air de L’Italiana in Algeri proposé par Anna Werle et Graziano Dallavalle, de quoi sortir réjouis et bien disposés pour la suite, qu’on attend en se relaxant au hammam et au sauna…

Adelaide di Borgogna

Présentée avec succès en 1817, Adelaide di Borgogna de Rossini n’en est pourtant qu’à sa troisième représentation scénique, donc une vraie rareté donné ce samedi soir. L’intrigue s’inspire de la figure historique d’une impératrice du Saint-Empire du Xe siècle canonisée par la suite. Adélaïde est mariée au roi d’Italie Lothaire et très rapidement veuve, son époux sans doute empoisonné par Bérenger II qui usurpe le pouvoir et veut l’épouser. La reine appelle au secours le roi des Germains Otton Ier qui répond à son appel. C’est le coup de foudre réciproque mais avant le mariage, il faudra détrôner Bérenger. C’est sur cet aspect de l’histoire que se concentre l’opéra. Le rôle d’Ottone est confié à une contralto, en l’occurrence Margarita Gritskova, dont le timbre ambré et velouté fait merveille. Voilà une jeune interprète à suivre attentivement. La mise en scène d’Antonio Petris, très simple, met en valeur le naturel des situations et la jeune chanteuse n’est pas travestie, mais porte un élégant costume que n’aurait pas dédaigné Marlene Dietrich. Au dernier acte, elle apparaît d’ailleurs les cheveux dénoués. Son attirance amoureuse pour Adelaide, interprétée par Ekatarina Sadovnikova, aux aigus un rien tendus, est tout à fait convaincante. Leur duo fonctionne d’ailleurs parfaitement. On n’est pas ici dans le genre, mais dans la pure rencontre amoureuse. Le reste de la distribution équilibre une œuvre à la séduction immédiate, dont on a du mal à comprendre pourquoi elle n’est jamais donnée.

Cantates pour piano

Ultime concert de ce séjour enchanteur en Forêt Noire, des Cantates rossiniennes pour piano données en fin de matinée le dimanche. On assiste ainsi dans le Kurtheater à un court spectacle d’une heure à peine, mais au contenu très dense pour un marathon musical enlevé et bourré d’énergie, tout en gardant une touche intimiste. Un nocturne, « Il faut partir », et un quartet de chambre « O giorno sereno » encadrent différentes cantates peu connues du maître italien. Bonne qualité d’ensemble pour les chanteurs, sauf peut-être pour Annalisa D’Agosto, singulièrement en méforme par rapport à sa prestation dans le Voyage à Reims. C’est d’autant plus regrettable qu’elle de quasi tous les numéros. Les autres, et en particulier Matija Meič, donnent tout ce qu’ils peuvent. Cela contribue largement à combler l’auditoire. On quitte le festival avec un petit pincement au cœur, chagriné de ne pas rester jusqu’au bout, puisque le dimanche suivant se donne le rarissime Tebaldo e Isolina de Francesco Morlacchi, célèbre en son temps mais peu à peu oublié. En tout, 20 jours de festival et 22 concerts et opéras ont été offerts au cours de l’une des manifestations les plus en vue en Allemagne dans le domaine lyrique. Une fois de plus, on plonge dans la nostalgie du départ et le désir de revenir dans un an…

 

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