Le monde de demain : Philippe Schlienger sur la 31e édition du festival Momix

Bêtes de Foire, © Lionel Pesque

La 31e édition du festival international jeune public Momix mêle exploration des nouvelles technologies, danse et spectacles engagés: Morceaux choisis avec son directeur, Philippe Schlienger.

La crise sanitaire s’étire en longueur, êtes-vous inquiet pour la tenue de Momix ?
Nous regardons les choses au jour le jour, sans précisions pour l’instant sur l’évolution possible des mesures sanitaires. Nous constatons une certaine prudence dans les réservations des spectacles programmés, même si l’intérêt des professionnels ne fléchit pas. Il convient d’attendre le début du mois de janvier pour ajuster les choses en fonction de l’évolution des contaminations. Malgré tout, je reste confiant, je pense que le festival aura lieu même si nous ne couperons pas à des contraintes sanitaires particulières.

L’an passé, le festival ne s’était tenu qu’en direction des professionnels. Quel bilan en retirez-vous ?
Les lieux étaient fermés au public, il n’y avait donc que des programmateurs face à des propositions réduites de moitié, sans compagnies étrangères. C’était dur mais nous avons pu montrer des fins de sorties de résidence et des créations pour permettre au secteur jeune public de faire son marché pour la saison 21-22. Cette tentative a finalement bien fonctionné, nous avons eu 120 pros sur deux week-ends. Est né le salon Pro-Art pour faire se rencontrer à la manière d’un speed dating des artistes et des programmateurs, notamment pour évoquer et présenter les futures créations des compagnies. Nous renouvelons ce salon cette année car il a permis à de nombreuses équipes de se faire connaître auprès de programmateurs d’autres régions de France.

Vous reprogrammez le focus sur les Pays-Bas qui n’avait pu se tenir en 2021…
Nous tenons beaucoup à ce temps fort qui s’intéresse à un territoire ou un pays différent depuis plusieurs éditions. C’est un choix fort autour de compagnies que je suis personnellement. Pour les Pays-Bas, ce seront six spectacles de tous genres : marionnettes (Hands up !, dès 3 ans), danse (Hihahutte, dès 2 ans et Kleur+, dès 2 ans) et musique (avec le concert dansé Spoon Spoon, dès 4 ans et Ramkoers, dès 6 ans). Nous invitons aussi une délégation de professionnels néerlandais afin de leur faire découvrir des pièces et des artistes. Cette couleur “orange” se retrouve aussi sur l’affiche confiée à l’illustratrice batave Zeloot, dont nous présentons une exposition des travaux, sans oublier quelques mets hollandais, aux Sheds, pour parfaire ce focus.

Hihahutte, Compagnie de Stilte

Le secteur jeune public semble avoir plutôt été épargné jusqu’à présent. Est-ce une impression en trompe-l’œil ?
Le secteur a été inventif avec de nombreux artistes ayant conçu des formats plus resserrés permettant de jouer dans des classes et des écoles, évitant ainsi les déplacements et mélanges d’élèves. Les sorties scolaires sont soumises à des contraintes très différentes entre primaire et secondaire, qui bougent souvent ! Une chose est sûre, les enseignants ont très envie de venir, mais leur venue dépend des réglementations et des contaminations, car dès qu’il y a un cas, c’est l’annulation.

La programmation 2022 mêle poids lourds du jeune public et artistes plus “tout public”, venus du théâtre ou de la danse…
C’est vrai qu’il y a une grande qualité de spectacles d’artistes ne venant pas forcément du jeune public. Je pense au chorégraphe Sylvain Huc qui revisite Alice au Pays des merveilles (Wonderland1, dès 5 ans), à la danseuse Eugénie Rebetez pour sa première incursion chez les petits (Ah Ah Ah2, dès 6 ans). Mais il ne faut pas oublier d’autres grands noms de la marionnette comme la Cie Plexus Polaire avec Moby Dick3(dès 14 ans), une grande forme que nous accueillons en partenariat avec La Coupole de Saint-Louis.

L’édition est aussi marquée par des spectacles aux sujets forts, dans le fond comme dans la forme. Je pense à Bérangère Vantusso avec Bouger les lignes 4 (dès 10 ans) avec des interprètes professionnels en situation de handicap de la Cie de l’Oiseau-Mouche…
J’ai le goût de choisir des productions ayant une densité artistique qui permettent de toucher aussi les adultes. Cette pièce bouscule les regards et les a priori. La création de la Compagnie du Double, Histoire(s) de France (dès 9 ans), devrait aussi faire événement dans sa manière de s’emparer avec finesse du récit que l’on peut faire d’une société plurielle et de sa constitution à travers les époques. Je me suis aussi questionné sur l’essor du streaming et des spectacles filmés, que je trouve tellement moins intéressants que la réalité. Les artistes allaient-ils s’emparer des outils numériques dans leur processus créatif ? Certains spectacles témoignent de cette tendance comme la création Crari or not crari : parcours d’(in)filtration entre réel et virtuel (dès 12 ans). La compagnie Ex Voto à la lune y joue de la réalité virtuelle avec brio. Prométhée des catalans d’Agrupación SeñorSerrano (dès 7 ans) mélange ainsi des figurines de Lego filmées par micro-caméra, technologies numériques et mythes grecs pour relire ces histoires fondatrices à l’aune de nos problèmes contemporains. Enfin, dans les propositions fortes et décalées, je citerai Nos petits enterrements de Méandres compagnie (dès 7 ans), évoquant la mort avec grande délicatesse et poésie, Moby Dick 150 (52 Hertz) de la cie Granit Suspension (dès 12 ans) avec une centaine de mouches derrière un écran pour parler de manière saugrenue et avec dérision de résistance politique.

Prométhée, Agrupación Señor Serrano

À Kingersheim et alentours du 27 janvier au 6 février
momix.org

1 Puis en tournée à Pôle Sud (Strasbourg) du 6 au 8 mars – pole-sud.fr
2 Également joué au Vorstadttheater (Bâle) du 27 au 29 janvier et au Theater im Kornhaus (Baden) le 5 mars – vorstadttheaterbasel.ch & thik.ch
3 À retrouver au Manège (Reims) 20 & 21 janvier, aux 2 Scènes (Besançon) du 1er au 4 mars, au Théâtre des Feuillants (Dijon) le 1er avril, au Théâtre Edwige Feuillère (Vesoul) le 5 avril et au TJP (Strasbourg) du 27 au 30 avril – plexuspolaire.com
4 À voir aussi à La Manufacture (Nancy) du 11 au 15 janvier, au TJP (Strasbourg) du 19 au 21 janvier et aux 2 scènes (Besançon) du 1er au 3 février – troissixtrente.com

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