L’Âge des possibles

Photo de Benoît Linder pour Poly

En 25 ans d’existence à Kingersheim, le festival jeune public Momix est devenu une référence. Directeur et programmateur du Créa qui organise l’événement, Philippe Schlienger livre quelques réflexions sur ce fécond quart de siècle.

Quelles évolutions a connu le festival depuis sa création ? Vingt-cinq ans c’est une génération : ceux qui étaient les spectateurs des premières éditions sont devenus des parents qui emmènent désormais leurs enfants au festival ! Aujourd’hui, un spectacle jeune public ne s’adresse plus uniquement aux enfants : les propositions présentées à Momix concernent également les adultes. Si on souhaite que le plaisir soit partagé – et que le dialogue devienne possible après le spectacle – il est impératif que l’œuvre touche toutes les générations.

Vous parlez d’œuvre : quelles dimensions peut-elle prendre ? Il y a une vingtaine d’années, on parlait essentiellement de “théâtre jeune public”. C’est une notion réductrice et dépassée, puisque tout le spectre de la création s’intéresse désormais aux enfants : danse, spectacle de rue, cirque, musique, etc. La dimension scénographique a également beaucoup évolué avec un travail de plus en plus soigné sur l’éclairage, par exemple, et l’intervention de la vidéo et du multimédia ou encore la mise en place de démarches interdisciplinaires. Le spectacle jeune public a atteint l’âge adulte.

Le champ des sujets traités a-t-il également changé ? Le spectacle jeune public s’est largement emparé des thématiques politiques. Cela revient à dire qu’il embrasse toutes les questions que se posent les enfants. Et contrairement à une idée reçue encore tenace, ils n’ont pas besoin de mièvrerie ! Ils sont également traversés, dès le plus jeune âge, par des questions existentielles : celles de l’espérance, de l’altérité, de la mort, de l’amour… Nos spectacles doivent les aborder, sans forcément apporter des réponses toutes faites, sans donner de leçons : à mon sens, l’objectif, quelque soit la tranche d’âge concernée, est de nourrir la réflexion de chacun en lui montrant sur le plateau, la “vie pour de faux”, lui faisant comprendre que cette vision donne les outils intellectuels pour appréhender la “vie pour de vrai”.

Comment structurez-vous le festival chaque année ? À travers une quarantaine de spectacles, nous souhaitons proposer l’éventail le plus large possible en termes de formes et de thématiques. On y retrouve des instants de plaisir gratuits, de réelles respirations, mais également les sujets essentiels et profonds que nous évoquions auparavant. C’est curieux de voir du reste comme le spectacle jeune public a su s’emparer sans tabous de sujets extrêmement variés, alors que le corps social se repliait sur lui-même, se raidissait, parfois ! C’est vrai avec des sujets comme les migrants…

Comment imaginez-vous l’avenir du spectacle jeune public ? De nouvelles formes de production sont en train de se développer et prendront, à mon avis, une ampleur croissante, notamment avec l’utilisation du multimédia. La dimension de la relation avec le public va également évoluer, les spectacles quittant les salles – avec, par exemple, de petites formes présentées en appartement – ou revêtant des aspects de plus en plus participatifs, le spectateur devenant acteur.

Quels sont vos coup de cœur ? J’en citerais trois. Au Courant (30/01, Espace Tival, Kingersheim) : un spectacle pour adolescents (dès 14 ans) en forme de performance. Une fille court sans s’arrêter pendant un peu plus d’une heure sur un tapis et, peu à peu, se met à nu, racontant sa vie et ses relations aux autres. Les petites incongruités de nos existences sont dévoilées avec beaucoup d’intelligence. » Dormir 100 ans (05 & 06/02, Espace Tival, Kingersheim) : cette création dédiée au jeune public (dès 8 ans) de Pauline Bureau, sa première, narre l’histoire de l’émancipation d’un petit garçon – qui parle avec le héros de sa bande dessinée préférée – et d’une petite fille. C’est une fable subtile sur la manière de grandir. Zohar ou la carte mémoire (07/02, Salle de la Strueth, Kingersheim) Plus célèbre dans le domaine du théâtre “pour adultes”, Laurent Gutmann s’adresse ici aux enfants (dès 9 ans) avec une pièce mettant en scène une gamine issue d’un milieu modeste qui vient de perdre son père. Elle s’entretient avec son fantôme, tandis que sa mère tombe amoureuse d’un homme riche. C’est une réflexion sur la nécessaire mémoire et l’oubli tout aussi impératif, une interrogation sur les situations de changement de l’existence.

Dans différents lieux de Kingersheim (Espace Tival, Créa, Le Hangar…) ainsi que dans les structures culturelles partenaires (La Passerelle de Rixheim, Le Triangle de Huningue, le Centre Europe à Colmar, etc.), du 28 janvier au 7 février

www.momix.org

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