Quesne le survivant

© Martin Argyroglo

Avec Swamp Club, le metteur en scène et scénographe Philippe Quesne nous embarque dans la vie d’un centre d’art menacé. Une fable minimaliste et contemplative dans une atmosphère de conte urbain doucement fantastique.

Pour les dix ans de son Vivarium Studio, compagnie avec laquelle il reconstitue des mondes miniatures que le spectateur observe en anthropologue, Philippe Quesne créait Swamp Club en 2013, sur les ruines de fin du monde marécageuses du décor de sa dernière pièce, Big Bang. Le temps a passé, la nature repris ses droits. Les herbes hautes et plantes grasses ont poussé, les hérons migré au milieu de la brume ambiante. Une bande d’heureux cultureux y a élu domicile, loin du tumulte du monde, érigeant un centre d’art sur pilotis. Ses immenses baies vitrées renforcent un peu plus l’effet “aquarium” permettant de contempler à l’envi le quotidien banal des hurluberlus rêvassant en totale liberté au milieu de résidents venus des quatre coins du monde, invités à venir écrire, composer et trouver l’inspiration dans une zone de tranquillité, entre sauna et espaces détente. Avec le minimalisme de ses actions où dominent une lenteur contemplative et des interprètes économes en gestes et en mots, la patte du metteur en scène a de quoi dérouter. Dans ce théâtre du quotidien s’égrènent les simples habitudes de résidents portant des cagoules de pénitents, sûrs de la force tranquille de leur démarche. Cette banalité de l’être au quotidien ennuie parfois, fait sourire souvent. Heureusement, un quatuor à cordes, invité à enregistrer des morceaux (La Jeune fille et la Mort de Schubert, le Quatuor n°8 de Chostakovitch), se charge de raviver nos émotions. Un temps, l’on rêve que tout s’emballe comme dans le tableau foisonnant de fantastique et de fantasque de Brueghel, Patientia, qui a inspiré le metteur en scène. Mais Quesne a d’autres projets et nous assigne la place de la figure allégorique du titre, enchaînée au milieu de la toile, une croix dans ses mains jointes en pleine prière. « Je me suis interrogé sur ce que signifie être “patient” dans ce monde grouillant. Je voulais reprendre à mon compte ce terme pour porter sur scène, de façon poétique, l’image idéaliste d’un engagement et non d’une résignation », confie-t-il.

© Martin Argyroglo

Car le calme clame bien quelque chose, au-delà du silence. « Ce groupe s’intéresse à la charge qui nous revient de rester autonomes, de créer et de continuer à inventer les moyens de son indépendance. » Une menace plane sur ce centre d’art idéal, adossé à une grotte contenant une mine d’or dont les innombrables pépites permettent de garnir une bibliothèque, des studios d’enregistrement, un cinéma… D’infimes failles s’ouvrent dans l’histoire en cours. Une énorme taupe de taille humaine, complètement groggy, annonce le danger venu de l’extérieur et chacun se prépare à protéger ce refuge d’artistes. Avec une dose de sérieux tournant le tout en dérision goguenarde, les anti-héros bon teint réunis sauvegardent plantes et animaux dans leur bâtisse transformée en cage vitrée avant de se réfugier dans la caverne, retournant au mythe philosophique originel. Avec le Vivarium Studio, l’utopie artistique n’est jamais loin d’une vision désenchantée du monde et d’un espoir teinté de mélancolie pour la construction d’un autre rapport à la société des hommes qui nous entoure de sa gangue. Ralentir la course effrénée du temps pour retrouver cette liberté d’être artiste, envers et surtout contre tout ce qui pourrait l’inquiéter. Considérez tout écho à une quelconque actualité comme… délibéré !

 

À Strasbourg, au Maillon-Wacken, mercredi 14 et jeudi 15 mai
03 88 27 61 81 – www.maillon.eu

À Mulhouse, à La Filature dans le cadre de Mai indiscipliné, mercredi 21 et jeudi 22 mai
03 89 36 28 29 – www.lafilature.org
www.vivariumstudio.net
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