Des collages immédiats

L’artiste britannique John Stezaker collecte des images anciennes qu’il assemble, créant des séries surréalistes. Présentés au Mudam, ses collages faits main happent le regard.

La vieille carte postale d’un site naturel simplement plaquée au beau milieu d’une photographie de star oubliée du grand écran : l’idée paraît banale, peu spectaculaire, surtout si le collage s’avère, à première vue, incongru, les lignes du paysage ne suivant pas strictement les traits du visage. Le spectateur est pourtant très vite bluffé par les rébus visuels de John Stezaker : son œil s’engouffre littéralement dans les cascades, falaises et rivières, il traverse les grottes ou tunnels, comme s’il pouvait pénétrer dans les pensées des personnages (méconnaissables car “masqués”), lire dans leur âme. Il s’agit ici de la série Mask que l’artiste a débutée dès le commencement des années 1980. Depuis le milieu des 70’s, Stezaker réalise des juxtapositions d’“images trouvées”. Il insiste au gré de ses interviews : ce sont davantage les reproductions qui viennent à lui que l’inverse, rappelant ainsi les Surréalistes pour lesquels la notion de hasard fut déterminante. L’épisode est relaté par André Breton : Alberto Giacometti musarde au marché aux puces de Saint-Ouen. Il découvre un objet qui attire son attention, l’inspire et lui permet d’enfin finaliser une sculpture laissée en chantier. Telle est la base de la démarche de l’Anglais né en 1949 à Worcester. Passionné par les assemblages de Joseph Cornell (proche du Surréalisme), Stezaker, grand glaneur, collecte les photos découvertes chez les libraires, dans les rayons poussiéreux de boutiques d’occases ou les allées des vide-greniers. Il n’utilise pas d’images contemporaines, d’où cette atmosphère étrangement rétro émanant de ses œuvres, accentuée par la technique old school de l’artiste qui, à l’heure du numérique, travaille à l’ancienne, sans assistance par ordinateur.

Difficile, dès lors, de ne pas songer aux collages de Kurt Schwitters ou Max Ernst, aux photomontages de John Heartfield… Les moyens mis en œuvre par Stezaker sont élémentaires : il recadre, retourne, accole les images “volées” à leur auteur. Il s’agit souvent, comme c’est le cas pour la série Marriage, de photos de héros de films des années 1930-1940. Le plasticien combine deux personnages, créant des êtres hybrides, masculins / féminins, des “monstres” sacrés du ciné issus de l’âge d’or hollywoodien. Ses cadavres exquis sont autant d’arrêts sur image qui plongent le regardeur dans un temps révolu, ouvrant des brèches et bouleversant l’ordre des choses. Il n’hésite pas, avec Untitled (1977), à tout bêtement retourner le cliché montrant un pianiste et sa muse. Le reflet, dans l’instrument, de cette dernière domine ainsi le musicien : d’un simple geste, il a “changé le sens” de la photographie.


À Luxembourg, au Mudam, jusqu’au 11 septembre
+352 45 37 851 – www.mudam.lu
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