D’ici et d’ailleurs

Avec son nouveau festival Horizon, la directrice de La Filature, Monica Guillouet-Gélys, jette un pont entre Suisse, Allemagne et France en invitant des créateurs éclectiques à Mulhouse. Un regard transeuropéen reliant préoccupations artistiques et sociétales.

Dans le prolongement des festivals Dan(s)e et Tran(s)e qui jalonnaient les saisons précédentes de La Filature, la nouvelle équipe poursuit à sa manière le défrichage de créateurs audacieux et radicaux, par-delà les frontières. Il y a les grands noms actuels tel Michael Clark, enfant terrible des scènes anglaises à l’esthétique provocante et débridée qui s’inspire d’un titre de David Bowie (Come, been and gone, jeudi 23 mai) pour revisiter en un brillant maelström les codes du ballet classique et de la mode, l’énergie de la musique et des arts visuels des années 1970, pour donner une pièce chorégraphique diablement contemporaine au look glam chic et au rythme pop choc.

Au-delà des formes
Horizon est aussi l’occasion de découvrir des propositions aux formes étonnantes à l’instar de Before your very eyes [1. Séances de rattrapage les 25 et 26 mai, à Sarrebruck dans le cadre du festival Perspectives – www.festival-perspectives.de] (les 17 et 18 mai, en néerlandais et anglais surtitré en français) du collectif Gob Squad qui a mené un travail de trois ans avec le centre d’art Campo sur la confrontation à l’âge adulte, demandant à des 10-14 ans de se projeter dans le futur. Dans une architecture de verre, telle une bulle de recherche et de confinement aux vitres sans tain, le public observe sept adolescents vieillir et se transformer jusqu’à leur propre mort. Un face à face aussi troublant qu’étonnant, effet de miroir déformé brassant les références de la pop culture et de la télé-réalité (les ados évoluant sous les ordres d’une voix off). À cette reproduction miniature du monde des hommes par des enfants succède Requiemachine (première française, le 22 mai, en polonais surtitré en français), incroyable expérience physique produite par un chœur d’une vingtaine de femmes mené par Marta Górnicka.

Magnificat © Krzysiek Krzysztofiak

Découverte l’an passé au festival Premières [2. Lire New Kids on the Block, notre article sur la prochaine édition du festival], la metteuse en scène polonaise voit sa nouvelle création accompagnée et coproduite par La Filature, en lien avec le TNS et le Maillon. Après s’être attaquées aux persistances des pressions patriarcales dans les sociétés européennes mais aussi aux dégâts de la société de consommation et des inégalités homme / femme, les interprètes issues de milieux variés – elles sont, à la vie, étudiantes, mathématiciennes, architectes, employées… – scandent les poèmes de Wladyslaw Broniewski. Telles des vagues fracassant le rivage, elles unissent leur voix dans une chorégraphie aux lignes martiales, dirigée de main de maître par Marta Górnicka, pour submerger d’effluves vibrantes un public emporté par la dénonciation poétique de l’aliénation du système néolibéral et du dogme du travail.

Come, been and gone © Jake Walters

Subversion
Le ton se fait plus rude et – encore plus – radical dans Maudit soit le traître à sa patrie (les 14 et 15 mai, en slovène surtitré en français). Choisissant pour titre la dernière phrase de l’hymne national yougoslave, à laquelle la Slovénie a appartenu jusqu’en 1991, le fougueux Oliver Frljić signe un plaidoyer sans conditions questionnant les responsabilités individuelles dans l’histoire, passée et actuelle, des Balkans. La troupe slovène du Mladinsko Theatre, emmenée par le metteur en scène croate, tourne l’arme des mots et des images dans les plaies suintantes des guerres civiles et de leurs atrocités. Un spectacle coup de poing où les émotions se succèdent dans une violence cinglante, passant d’irruptions de joie collective à des exécutions sommaires, le drapeau yougoslave pour unique linceul. Composée à partir d’improvisations conférant un réalisme froid à chaque partition, cette pièce règle ses comptes à la bienséance et replace dans leur complexité les montées des nationalismes chassant comme la peste les libertés individuelles et artistiques.

Variations amoureuses
Artiste associé à La Filature, Joël Pommerat présente sa nouvelle création : La Réunification des deux Corées (les 14 et 15 mai). Comme son titre ne l’indique pas, cette nouvelle mise en scène n’évoque quasiment pas les régimes de Séoul et Pyongyang. Les deux capitales ne sont qu’un prétexte à développer un espace bifrontal (le public s’installant de part et d’autre d’une scène en longueur) en forme de now man’s land démilitarisé, espace interlope entre deux états dans lequel une vingtaine d’histoires d’amour sont contées dans une langue du quotidien. Chez Pommerat, le théâtre est investi pour sa capacité d’éclosion poétique et d’invention. Attirance entre voisins, relations au-delà des interdits entre un curé et une prostituée ou encore amours vues, aux aurores, par les mots criants de vérité de femmes de ménage… L’auteur cinquantenaire balaie avec un humour féroce les rêves, les cauchemars et les désirs liant les hommes aux femmes face aux aléas de la vie.

Horizon, un regard transeuropéen, à Mulhouse, à La Filature, du 14 au 25 mai
03 89 36 28 29 – www.lafilature.org

Inauguration du festival en entrée libre, mardi 14 mai à 18h, avec le vernissage de l’exposition Blow up et une performance de Cyril Hatt, Stroll on

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