Women

Gerhard Richter, Birkenau-Zyklus

Entre rêve et cauchemar, les huiles oniriques de Johannes Hüppi sont à découvrir outre-Rhin, dans deux expositions. Rencontre avec le peintre, dans son atelier de Baden-Baden.

Des grands-parents artistes. Des parents itou. Son père n’est autre qu’Alfonso Hüppi – célèbre pour ses reliefs de bois, il participa à plusieurs éditions de la documenta de Kassel –, tandis que son frère Thaddäus est le tenant d’un pop art joyeux et coloré. Johannes Hüppi nous reçoit dans son atelier installé dans une ancienne fabrique de meubles. Murs blancs. Grandes fenêtres ouvertes sur le ciel. Quelques toiles sont posées ça et là, en attente de finissage. Il nous accueille évoquant sa volonté, très jeune, de « mener la même vie que [s]es parents », mais aussi sa fascination, « à l’âge de quinze, ans, en apercevant La Rue de Balthus, au Museum of Modern Art de New York. Ensuite, j’ai découvert qui il était : son indépendance par rapport au marché, aux esthétiques dominantes – il n’appartenait à aucun groupe – m’a beaucoup plu. Le retrait est une position qui me convient parfaitement. Je déteste tout ce cirque », sourit-il.

À Coblence, au confluent de la Moselle et du Rhin, se déploie une ample rétrospective (dans laquelle ses œuvres entrent en résonance avec celles de son frère) permettant de découvrir différentes séries riches d’une généreuse palette. Dans les unes, des couples folâtrent dans les près, nus, à quelques mètres de leur voiture, garée au bout d’un chemin creux, dans les autres sont représentées des serveuses. S’y croisent une hôtesse de l’air sensuelle proposant une coupe de Champagne, une Asiatique tatouée portant un plateau où est posée une Pils, mais aussi une impavide Judith contemporaine apportant la tête d’Holopherne sur une assiette, sur une table, à côté d’un verre de vin du Rhin. Partout, se déploient les courbes enivrantes des femmes et leur visage. « L’homme est ennuyeux à peindre », s’amuse Johannes Hüppi, avant de préciser qu’il ne fait que représenter « des avatars de l’universel et éternel féminin. Mes femmes sont mères, filles, amoureuses, muses, amantes… Tout cela en même temps. »

Intitulée Museum Museum, sa dernière série est à découvrir chez Vickermann & Stoya (Baden-Baden) : des femmes le plus souvent nues y arpentent les salles d’un musée imaginaire. Une jeune fille mélancolique observe Les Sept pêchés capitaux d’Otto Dix, deux élégantes dans le plus simple appareil regardent La Leçon de guitare de Balthus accrochée à côté de Saturne dévorant un de ses fils de Goya, un couple vêtu de robes diablement transparentes baguenaude dans un espace où voisinent deux nus signés Corot… Fascinantes, ces images, souvent de petite taille, concentrent une incroyable puissance d’émotion : opérant une mise en abyme, l’artiste questionne l’Histoire avec ces tableaux dans le tableau. « Pour moi, il s’agit d’une merveilleuse malle au trésors où je puise des fragments. Je ne les vole pas [rires] », explique- t-il. Lorsqu’il peint, par exemple, l’iconique Sunbather de David Hockney, devant lequel passe une naïade, il ne copie pas le maître américain, mais en livre une interprétation : « Je cherche à en saisir l’esprit. Parfois, des perspectives ne sont pas similaires, des détails clochent », résume-t-il. Comme dans le film de Woody Allen La Rose pourpre du Caire, les personnages féminins semblent être sortis du cadre, regardant un avatar d’eux-mêmes dans la toile. Dans cette promenade se déploient des œuvres du Caravage, de Baselitz, Warhol, Vélasquez, Meese… et Gerhard Richter que Johannes Hüppi n’apprécie pourtant guère. L’intérieur d’un étrange retable montre trois femmes devant son immense quadriptyque de 2014 intitulé Birkenau : sur les célèbres photos prises en cachette par des membres d’un Sonderkommando agrandies à l’extrême, Richter a réalisé une composition abstraite en les recouvrant de strates successives de pigments. « Je trouve cela prétentieux. Insolent même. Mettre des femmes nues faces à ces toiles du “grand peintre allemand” [prononcé avec une ironie mordante], consiste à répondre à l’insolence par l’insolence. » Fascinante, la promenade dans ce musée imaginaire peuplé d’évanescentes présences galbées est souvent terriblement érotique, toujours intensément énigmatique. Ici se mêlent indissociablement rêve et cauchemar, la vie et la mort se mariant dans le même cadre. C’est dans un mystère existentiel épais et insoluble que réside la force des compositions de Johannes Hüppi.


Chez Vickermann & Stoya (Baden-Baden), jusqu’au 31 janvier
vickermannundstoya.de

Au Mittelrhein-Museum (Coblence), du 15 février au 3 mai
mittelrhein-museum.de

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