Une expérience du son

Photo de Christophe-Daguet

Deux créations mondiales : Apocalypsis à Metz, en septembre, puis une œuvre de saison à Nancy, au printemps. En 2021-22, la compositrice Édith Canat de Chizy irradie sur les scènes lorraines. Portrait.

Dans son discours de réception à l’Académie des Beaux-Arts de 2005, le compositeur François-Bernard Mâche décrit l’art de sa consœur en quelques phrases percutantes : « Tout en soulignant votre indépendance, vous vous réclamez des Russes comme Moussorgski et Rimski- Korsakov pour l’orchestration, de Debussy pour la liberté de la forme, de Varèse pour le travail sonore. » Et Édith Canat de Chizy de corroborer, précisant : « Varèse affirmait que la musique est faite de sons et non de notes. Il soutenait que le compositeur devait écrire avec ces sons. C’était avant la Seconde Guerre mondiale ! » Depuis, elle a fait sien le credo de l’auteur d’Ionisation.

Parcours
À ces influences, il faut rajouter celle de Maurice Ohana1 – « Il m’a permis de comprendre que le plus important est la liberté d’écrire en dehors des chapelles et des écoles » – et de la musique électroacoustique. Dans les années 1980, elle étudie avec Ivo Malec et Guy Reibel, suivant aussi un stage au Groupe de Recherches Musicales fondé par Pierre Schaeffer. Les techniques de ce courant « m’ont beaucoup imprégnée : mixage, mise en boucle, incrustation… À cette époque, nous travaillions sur des bandes magnétiques, ce qui permettait d’avoir une notion très concrète du son : dix centimètres de bande correspondaient à une seconde de musique. En 1985, j’ai transposé ces techniques dans mon écriture instrumentale pour ma première pièce d’orchestre, Yell », explique- t-elle. La compositrice aime de surcroît se nourrir à des sources multiples, poésie et peinture en tête, ces « fragments d’imaginaire. » Pour elle, existe un parallèle entre « matériau pictural et matériau sonore ». Ainsi Nicolas de Staël « utilise-t-il au début de sa carrière une matière épaisse et sombre pour, à la fin de sa vie, arriver à une épure où le grain de la toile est visible. » Cette trajectoire est perceptible dans le concerto pour alto pétri de lyrisme (faisant penser à « un Schumann du XXIe siècle », dixit François-Bernard Mâche), dont le titre reprend celui d’une composition du peintre : Les Rayons du jour (2005). Ailleurs, Vincent van Gogh est convoqué avec Champ de blé aux corbeaux achevé juste avant son suicide, pierre angulaire d’Omen (2006), qui épouse le tournoiement tragique de l’œuvre. Elle se nourrit également de nombreux textes poétiques comme ceux de Pierre Reverdy (Formes du vent, 2003), Emily Dickinson (Lands away, 1999)… Dans Pierre d’éclair (2010) – où la référence à René Char est à peine masquée2 – ou Mobiles immobiles (1998), deux titres en forme d’oxymore, se déploie la philo- sophie sonore d’Édith Canat de Chizy : une dialectique permanente entre le mouvement et l’arrêt, qui irrigue en effet nombre de ses pièces.

Créations
L’Orchestre national de Metz et David Reiland ouvrent leur saison avec la création mondiale d’Apocalypsis en compagnie3 de l’ensemble vocal Les Métaboles , à côté de partitions signées Camille Saint-Saëns Reynaldo Hahn et Claude Debussy. Aimant écrire pour la voix, la compositrice a imaginé une pièce éminemment mystique : « Lorsqu’on m’a passé commande de cette pièce [pour célébrer les 800 ans de la Cathédrale Saint-Étienne de Metz, NDLR], nous ne pouvions savoir ce qui allait arriver. Je l’ai écrite pendant le premier confinement en trouvant des résonances entre le Livre de l’Apocalypse et cette période si étrange », résume-t-elle. Sur un livret en trois langues – français, anglais et latin, ce qui permet de « varier la sonorité des phonèmes » – elle suit le déroulement du texte sacré en huit étapes, comme Septième sceau qui « débute avec un compte à rebours du nombre 19, celui du Covid amenant au silence qui se fait dans le ciel », ou Babylone qui la précède, et dans laquelle est rappelée la chute de la cité, « symbole même de la société de consommation. Y sont évoqués tous ceux qui blasphèment. Aujourd’hui, leurs lointains successeurs affirment que le dérèglement climatique n’existe pas. » C’est une page pleine d’interrogations qui tente de décrire, si ce n’est de percer, le mystère biblique. La musicienne ne tient pas « à ce que le mysticisme se manifeste. Il s’agit plus d’une expérience humaine personnelle nourrissant ma musique. Je ne souhaite faire passer aucun message mais revendique une musique d’inspiration spirituelle », détaille-t-elle refusant l’étiquette de “musique sacrée”. Quelques mois plus tard, sera créée une autre œuvre par l’Orchestre de l’Opéra national de Lorraine sous la baguette de Marta Gardolińska4 dans un programme prenant pour titre D’un matin de printemps. À côté de cette page de Lili boulanger, sera donnée cette pièce sur le thème de la renaissance – un concerto pour clarinette encore innommé – et une page de Debussy. Avec ce dernier qui révolutionna l’idée de la forme à son époque, Édith Canat de Chizy partage bien des choses. « Si l’on regarde la seconde moitié du XXe siècle, on pourrait schématiquement dégager deux courants : d’un côté les “bouléziens”, de l’autre celui de l’expérience du son. J’appartiens au second. » On ne saurait mieux dire.


À L’Arsenal (Metz), vendredi 17 septembre
citemusicale-metz.fr

> Rencontre avec Édith Canat de Chizy à la librairie La Cour des grands de Metz (16/09) à l’occasion de la sortie de La Loi de l’imaginaire, livre d’entretiens avec Michèle Tosi paraissant aux éditions Aedam Musicae (20 €) edithcanatdechizy.fr

À la Salle Poirel (Nancy), jeudi 10 et vendredi 11 mars 2022
opera-national-lorraine.fr

1 Avec François Porcile, la compositrice a écrit l’ouvrage de référence sur celui qui se définissait comme un « moderne archaïque » (Fayard, 2005) 
2 Le titre vient du fragment d’un vers issu d’Excursion au village : « Tu seras pierre d’éclair aussi longtemps que l’orage empruntera ton lit pour s’enfuir »
3 Voir Poly n°233 ou sur poly.fr ; cette saison, Les Métaboles sont en résidence à la Cité musicale-Metz.
4 Voir page 77

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