Rio ensemble

De belles ritournelles, des love songs et des hymnes raëliens. Une apparition sur le plateau de l’Eurovision, des Pépitos bleus, de l’amour, de la violence… Aujourd’hui, Sébastien Tellier explore son enfance qu’il transpose au Brésil le temps d’une Aventura sous forme d’autofiction fantasmée. Entretien vérité.

Vous arrive-t-il d’écouter vos propres disques ?
Non, je n’écoute jamais mes morceaux, car je ne remarque que les défauts. De la même manière, je ne regarde pas les photos de moi… même si ça flatte mon ego que de me voir en couverture des magazines.

Vous pourriez pourtant avoir envie de vous réfugier dans vos chansons qui ont un côté madeleine, voire doudou…
Oui, c’est vrai, j’ai toujours eu envie de faire une musique de “maman”, qui rassure, reliée à mon passé, ambiancée par ce qu’a vécu ma génération. Je vais sembler passéiste mais, même si j’adore Daft Punk, Phoenix, Justice, Jay-Z ou Beyoncé, la musique de mon cœur est celle des années 1970. Mes morceaux sont des puzzles de souvenirs de cette décennie, mais recréés de manière à exprimer des sentiments d’aujourd’hui. J’ai grandi à Cergy-Pontoise, en banlieue où ça n’a pas été tous les jours la fête, et la musique a toujours été un cocon. Il n’y a pas longtemps, j’ai acheté un tipi à mon fils qui adore s’y cacher : pour moi, la musique, c’est ça ! Écouter mes disques ne me rassure absolument pas, mais j’espère qu’ils font un “effet maman” aux autres.


Envisageriez-vous d’écrire pour les enfants, comme l’a fait François de Roubaix, compositeur du générique de Chapi Chapo que vous appréciez ?
Ne faire que ça, comme Henri Dès ou Dorothée, sûrement pas, mais composer pour les petits, oui. Non pas parce qu’ils ont des grosses joues et qu’on a envie de les croquer, mais parce qu’ils ressentent les choses plus qu’ils ne les pensent, qu’ils appréhendent la musique sans cynisme. C’est le public rêvé !

Vous êtes sorti de l’enfance ?
Je vis pleinement les étapes de la vie, à 100%. Enfant, j’étais très gamin, puis je suis devenu un ado rebelle et autodestructeur avant d’être un trentenaire hipster qui buvait du vin… À l’approche de la quarantaine, j’ai envie de repartir d’un nouveau pied et de rafraîchir mon esprit. J’ai arrêté la drogue et je sors de cure de désintox : je fumais une vingtaine de joints par jour et ça me tapait sur le système. Je suis face à mon destin, il faut que je sois un adulte ! Je ne peux plus me contenter de manger des pizzas devant des séries télé. Aujourd’hui, j’aurais par exemple plus tendance à choisir une guitare Gibson un peu jazz plutôt qu’une Fender Mustang.

On a tout de même l’impression que l’enfance est un paradis perdu pour vous…
Ça m’obsède, je n’arrive pas à m’en détacher, j’en suis prisonnier, sans doute parce que j’ai vécu une enfance banale dans une banlieue pourrie. Il y avait des arbres, mais qu’on venait de planter et qui poussaient avec des tiges en plastique… Toutes les maisons étaient les mêmes sur des kilomètres. J’ai grandi dans un lieu sans charme et je cours sans cesse après quelque chose que je n’avais pas étant petit.

C’est pour ça que vous vous êtes inventé une jeunesse passée sous le soleil brésilien avec votre dernier album, L’Aventura ?
De Gaulle a dit que le Brésil n’était pas un pays sérieux. Ça, c’est chouette : cette phrase m’interpelle car je fuis le sérieux. Rien de plus ennuyeux que des gens, comme les vendeurs de chez Darty ou les concessionnaires automobile, qui essayent d’être dans un théâtre du sérieux. Le Brésil est un pays qui a du potentiel – il regorge de splendeurs, de plaisirs, de belles femmes, de magnifiques musiques… –, mais il restera éternellement enfantin. Voilà pourquoi je l’ai choisi pour cet album en trompe-l’œil, qui raconte l’inverse de ce que j’ai vécu. [Sébastien Tellier se met à chanter] « Sous le soleil et la lune, il peint le bonheur des siens… » : ces paroles évoquent quelque chose de joyeux, mais en fait je hurle la médiocrité de ma jeunesse. Sauf qu’au lieu de faire un disque bourré de haine, j’ai décidé d’offrir quelque chose de beau.

À vos débuts, vous vous produisiez sur scène dans une configuration minimaliste : vous sembliez vulnérable et une certaine beauté en émanait. N’avez-vous plus envie de vous présenter sans fard et dire L’Incroyable vérité ?
La tournée de My God is blue, mon précédent album, était une immense mise en scène d’un messie bleu qui arriverait sur terre… Actuellement, je suis dans une autre logique. Fini la mascarade ! À l’âge adulte, il faut assumer ses forces et ses faiblesses, alors je vais même me permettre de chanter a cappella. La chanson à nu, la mélodie, le texte, sans les accords… C’est encore plus simple que mes premières formules. Regarder quelqu’un s’exprimer avec sa voix, tout seul, comme Piaf qui chantait dans la rue, c’est quelque chose d’une grande intensité. Bien sûr, je ne ferai pas une heure et demie dans cette configuration, ça serait très ennuyeux.

Vous allez baisser vos lunettes noires ?
Non, par contre j’arrête les vestes à franges et les toges. Je reviens avec un personnage plus accessible car j’en ai marre d’être pris pour un horrible connard ! Je suis quelqu’un de doux, de sympa, de généreux… et mon vrai visage plaira davantage que lorsque je me maquillais. À une époque, par exemple, je détestais Bénabar et Biolay, mais en m’acceptant, j’ai appris à accepter les autres. L’amour de soi et de l’autre, ça va ensemble.

Chaque album tourne autour d’un thème : la politique, la sexualité, la spiritualité, l’enfance… Allez-vous continuer à vous emparer de concepts ?
Je vais plutôt m’intéresser à des détails de la vie. Par exemple, lorsqu’on arrive en vacances à Biarritz avec ses vêtements de citadin et que tous les estivants sont en maillot de bain, bronzés, pleins de crème solaire : il y a un décalage entre nous et ceux qui sont déjà dans la fête et la chaleur de l’été. C’est une petite sensation qui me semble plus importante que les grands concepts.

Tous vos albums ont une dominante chromatique. Quelle est celle de L’Aventura ?
Orange, comme un coucher de soleil. Les immeubles sont affreux à Rio, on dirait des HLM des années 1970, mais il y a ce coucher de soleil qui fait que la ville est magique !

Quelle est votre définition de la Dolce Vita ?
C’est ne pas être dans la boîte de nuit, mais à proximité : on entend les verres se fracasser, le rythme qui passe au travers des murs, mais on est juste à côté. J’habite à Montmartre, un quartier très poétique, mais légèrement excentré : c’est la Dolce Vita.

À Strasbourg, à La Laiterie, mercredi 8 octobre
03 88 237 237
www.artefact.org

À Nancy, au Chapiteau, dans le cadre du festival Nancy Jazz Pulsations (du 8 au 18 octobre, avec Gilberto Gil, Lee Fields, Richard Galliano…), jeudi 9 octobre
03 83 35 40 86
www.nancyjazzpulsations.com

Dernier album :
L’Aventura, édité par Record Makers
www.recordmakers.com
www.sebastientellier.com

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