Quête d’horizons communs avec Julia Vidit à la Manufacture de Nancy

Photo de Jeanne Dreyer

Pour sa première saison à la tête de La Manufacture de Nancy où elle a été nommée le 1er janvier 2021, Julia Vidit dévoile ses envies d’aventure créative partagée, de récits manquants sur des questions communes et d’itinérances hors les murs.

Micropolis. C’est le nom donné à ce tout nouveau rendez-vous initié par Julia Vidit, dédié aux formes courtes faisant “cité”, “communauté”. Pendant trois jours, une douzaine de spectacles pensés pour l’itinérance – jouables en salles des fêtes, en centres sociaux, dans les écoles ou bibliothèques… – se déploieront dans les différents espaces du Théâtre de La Manufacture et alentours. « J’ai pensé Micropolis comme un carrefour permettant de présenter des créations faites sur le territoire du Grand Nancy et au-delà, en lien avec les habitants, pouvant irriguer d’autres quartiers et d’autres communes. Un geste fort, celui de sortir de nos murs pour aller à la rencontre des publics, pour faire œuvre commune », explique avec envie la metteuse en scène qui connait bien la Lorraine pour y être installée depuis longtemps.

De la rumeur à Baptiste Morizot
Dès les saisons à venir, ces formes courtes se déploieront en deux temps, avant de revenir à Nancy : d’une part en collège et d’autre part en balade dans le département, « voire au-delà, les directrices et directeurs des autres Centres dramatiques nationaux du Grand Est (Alexandra Tobelaïm à Thionville, Chloé Dabert à Reims, Émilie Capliez et Matthieu Cruciani à Colmar), tous nommés récemment, ayant aussi des envies et des projets forts liés aux petites formes proposées par les villages », confie celle qui saisit ainsi l’opportunité de réinterroger et de relancer la décentralisation théâtrale. « Comment mettre nos forces en commun pour construire une itinérance dans les lieux les moins dotés en équipements et en propositions culturelles ? » Et de poursuivre : « La création contemporaine interroge le monde, crée des débats brûlants et n’a pas peur de se frotter à des sujets trop chauds ! J’ai un désir de réinvention de lieux de rencontres où se rejoindraient partenaires sociaux, élus, artistes, habitants… Créer à la périphérie, dans les campagnes avec des artistes au contact des réalités pour ensuite revenir au centre-ville y partager ce qui est né ailleurs. » Pas question pour autant d’agir ou de devenir des prestataires de culture. Julia Vidit s’en préserve en imposant des processus de création incluant et partant des publics. Elle cite aussi aisément les rappeurs de La Rumeur (Périphérie au centre) que le philosophe Baptiste Morizot : « À nous de comprendre et d’essayer de dépasser les contraintes qui pèsent sur la création contemporaine et sa réception. Dans son Esthétique de la rencontre1, Morizot montre à quel point l’art a le pouvoir de nous transformer et peut devenir un lieu unique de rencontres individuantes, de celles qui nous font. »


Habiter un théâtre
Arriver à la direction d’un théâtre est l’opportunité de penser une aventure humaine, créative et partagée. Habiter une maison avec une flopée de complices – qui « seraient là sans cesse, comme une utopie » – parmi lesquels des dramaturges (Thomas Pondevie, etc.), des scénographes et cinq artistes associés sur ce premier mandat : les metteuses en scène Pauline Ringeade, Bérangère Vantusso, Élise Chatauret et Olivier Letellier mais aussi la performeuse, autrice et militante afro-féministe Rébecca Chaillon qui créera Carte noire nommée désir (09-13/11). S’y ajoutent des auteurs de générations différentes : la belge Céline Delbecq, le congolais Dieudonné Niangouna, l’autrice jeune public Catherine Verlaguet et la jeune Marilyn Mattei « aussi tranchante qu’un Edward Bond »2. Les séries de représentations seront allongées afin que les artistes soient à Nancy au moins une semaine, qu’ils vivent la ville et la connaissent. Autre nouveauté, travailler la programmation au semestre pour gagner en souplesse, proposer des spectacles pour les familles (cinq par saison), des ateliers de pratique artistique « qui ne soient pas clivants entre professionnels et amateurs » et l’envie de grandes épopées que seuls peuvent offrir les centres d’art. Le tout dans un mélange de répertoire (Rostand, Pirandello…) et d’écriture contemporaine (Guillaume Cayet qui mènera Quartiers libres, projet de rencontres et d’écriture).


Au Théâtre de la Manufacture de Nancy, à l’IAE, au IECA, Conservatoire régional du Grand Nancy et dans les établissements scolaires partenaires (Collège de la Craffe et Notre-Dame Saint-Sigisbert), du 17 au 19 septembre
theatre-manufacture.fr

Des temps d’échanges sont organisés à la Cour du marronnier de La Manufacture :
La Décentralisation théâtrale : une histoire et quel avenir avec Julia Vidit17/09 (18h30)
Comment penser la rencontre entre public et forme itinérante ? avec Robin Renucci, 18/09 (11h)
Nouveaux territoires ? Nouvelles économies ? avec Valérie Suner (du Théâtre La Poudrerie à Sevran) et Alexandre Biker (Scènes & Territoires), 19/09 (11h30)

1 Baptiste Morizot et Estelle Zhong Mengual, Esthétique de la rencontre – L’énigme de l’art contemporain, Seuil, 2018

2 Julia Vidit crée Pour quoi faire ? d’après un texte de Marilyn Mattei dans le cadre de Micropolispage25image10324992page25image10334784

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