Poltergeist

Avec L’Europe des esprits, le MAMCS présente œuvres, documents ou instruments démontrant le lien entre les phénomènes occultes, l’art et les sciences, de 1750 à 1950. Arrêt sur (une) image.

Nous parcourons les 2 500 m2 de l’exposition occupant deux étages du Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg afin de choisir une pièce parmi les innombrables photos, toiles (500 œuvres en tout), objets (150) ou livres (150) rassemblés. L’horriblement belle Conjuration (1797-1798) – de vilaines sorcières aux visages expressionnistes s’abattant sur un pauvre bougre prostré – peinte par un Goya hanté par ses démons ? Robin Goodfellow-Puck (1781-1790), personnage mi-ange mi-démon d’Henry Fuseli ? Une photo “mystico-cosmique” de František Drtikol nourrie de théories chères aux théosophes ? Une toile symboliste, une estampe ésotérique, une table tournante ?

Nous nous arrêtons sur cet étrange cliché saisi par Eugène Thiébault en 1863 : un homme se débat, horrifié par le fantôme drapé de la tête (de mort) aux pieds (invisibles) qui tente de l’attraper. Les grands gestes surjoués et l’expression exagérée du malheureux portent à sourire… Son effroi est-il crédible ? Surtout en sachant que les photos de séances “d’apparitions” avaient généralement lieu dans le noir, avec un flash au magnésium qui faisait fermer les yeux des protagonistes, le visage blanchi. Très en vogue milieu XIXe, ce type de photographies (notamment celles d’Édouard Isidore Buguet, à découvrir dans l’expo) était sensé appuyer les hypothèses du chantre du spiritisme, Allan Kardec, auteur du Livre des esprits en 1857. Selon Héloïse Conésa, conservatrice au MAMCS, les photos spirites[1. Photographies qui rendent compte des séances de spiritisme], « nées aux USA après la Guerre de Sécession, dans un contexte où pesait la perte des proches », permettaient de convoquer le souvenir des absents. Ce qui explique leur succès au moment de la Première et Seconde Guerre mondiale en Europe. Mais tel n’est pas le propos de ce photomontage réalisé par Thiébault, virtuose du trucage visuel qui, avant d’apporter de l’eau au moulin spirite, soutient un message publicitaire.

Eugène Thiébault, Henri Robin et un spectre (1863) / Collection Gérard Lévy - photo de Jean-Louis Losi

Il s’agit d’une commande du magicien Henri Robin, sans doute prise dans son intérieur (sur la table, nous remarquons une carte de visite le représentant muni de sa baguette magique), pour l’affiche de ses spectacles. « L’image regarde avec humour les surimpressions de Buguet tout en cherchant à intriguer les spectateurs potentiels », souligne la conservatrice. Les shows de Robin ? Des fantasmagories, genre initié par le français Robertson, ancêtre du cinéma. L’illusionniste se produisait régulièrement dans son propre théâtre parisien. À l’aide de quelques “abracadabra”, de jeux de projection et de miroir, il faisait apparaître des spectres, dans la stupeur (et la crédulité ?) générale.

Sur le bureau du prestidigitateur, nous distinguons aussi un sablier et un revolver : le temps qui passe, la mort…  Cette épreuve sur papier albuminé (22,9 x 17,4 cm) peut également être perçue comme une allégorie ou une vanité. Faisant ainsi référence à la peinture[2. Dans l’expo sont également présentées des photos qui font très directement référence à la peinture. Citons Gertrude Käsebier, artiste pictorialiste (le pictorialisme, fin XIXe, début XXe, voulait élever la photographie au rang d’art) dont le travail évoque Eugène Carrière], jouant sur plusieurs registres, elle est symptomatique du passage de la photographie en tant qu’outil de témoignage à celui d’instrument de création.

Les photos – qui accompagnent les nombreuses découvertes scientifiques[3. De nombreux scientifiques tels que William Crooks, britannique à l’origine des rayons X, ou Marie Curie, nobélisée pour ses recherches sur la radioactivité, s’intéressèrent de près aux médiums, à l’occultisme ou à la force psychique] de l’époque – présentées à l’occasion de L’Europe des esprits entretiennent divers rapports avec l’occulte : “preuves” de scènes de lévitation, d’apparitions de revenants ou de fluides mesmériques (on lui conférait le pouvoir de capter ce que l’œil humain ne voit pas)… À cette époque, était souvent reproché à la photographie, technique inventée un peu plus d’une vingtaine d’années auparavant, « d’être trop triviale, de simplement reproduire le réel ». Ici, elle commence à s’affirmer : les surréalistes ou, plus tard, le collectionneur Sam Wagstaff[4. Il fut le mécène de Robert Mapplethorpe] ont contribué à la lecture artistique de ces images, entre réalité et imaginaire, qui captent la vie… et au-delà.


À Strasbourg, au MAMCS, jusqu’au 12 février
03 88 23 31 31 – www.musees.strasbourg.eu

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