Avec Évidence. Dessiner le présent, le Musée Tomi Ungerer questionne le quotidien à l’aune du politique.
Lorsque quatre artistes venus de quatre pays différents sont réunis pour parler de leur vie, ce sont autant de réalités qui se confrontent. Chacun tisse des liens délicats entre son quotidien et le politique qui, toujours, apparaît en filigrane. Dans ses carnets intimes accrochés, ouverts, sur un mur, le Libanais Mazen Kerbaj exprime, par exemple, ses ressentis et décrit ses actes au travers de notes et de croquis qui, parfois, se superposent, à l’instar de ses pensées. À l’aide d’un accessoire banal, l’assemblage de Post-its Remember me when I am not here anymore (2020) – sur lesquels apparaissent esquisses et écrits instantanés, souvenirs éphémères d’instants a priori insignifiants, comme une liste de courses – illustre la vitesse à laquelle défile le quotidien et l’instantanéité dans la production artistique. « Cette œuvre dit beaucoup de choses », explique Anna Sailer, conservatrice du musée et commissaire de l’exposition : « C’est très intéressant d’interroger les médias, de [montrer] que l’illustration ou le dessin, ce n’est pas que le crayon sur papier. L’expression de l’illustration est protéiforme ».
La Française Neïla Czermak Ichti propose ainsi de nombreux dessins représentant, entre autres, des scènes surréalistes, comme Xénomorphe (2018), dessin au stylo-bille mettant en scène un homme dans le dos duquel poussent des ailes de papillon. En noir et blanc, cette scène irréelle plonge le visiteur dans un étrange mélange de questionnements et de vide émotionnel – celui de nos sociétés ? – en résonance avec l’expression lointaine du visage du protagoniste. De son côté, l’illustrateur allemand Nino Bulling, qui se revendique comme non-binaire, met en exergue des enjeux sociétaux. Ses tableaux et bandes dessinées rendent compte de sujets contemporains comme l’environnement ou l’identité de genre. Dans sa BD La Part du feu (2023), il évoque le combat intérieur d’un individu cherchant à s’assumer dans un monde en pleine crise climatique. Une œuvre dont les rares touches de couleur intensifient la gravité des événements contés, mais qui est aussi très critique vis-à-vis de la société. Enfin, la plasticienne libanaise Mounira Al Sohl s’intéresse au Moyen-Orient, notamment à la Syrie, qu’elle connaît bien pour y avoir fui pendant la guerre civile qui déchira son pays (1975-1990). Avec dessins et broderies, dans lesquelles les aiguilles n’ont pas été enlevées pour indiquer la continuité de ses observations, elle s’interroge sur la situation politique. Paper Speakers (2021-2022) montre des femmes qui semblent remettre en cause leur condition au milieu de personnages portant un masque chirurgical… Joli parallèle entre la crise sanitaire qui imprègne le contexte de création de l’œuvre et les femmes qui, trop souvent, doivent encore vivre cachées dans cette région du monde.
Au Musée Tomi Ungerer (Strasbourg) jusqu’au 28 septembre
musees.strasbourg.eu