Poètes, vos papiers !

Du 4 au 12 mars 2011, Strasbourg organise Traduire l’Europe, manifestation mettant à l’honneur la littérature européenne et la traduction dans toute la CUS. Parmi les invités, Herta Müller (prix Nobel 2009 de littérature), le poète anglais Tony Harrison (Prix européen de littérature 2010) ou encore le poète français et traducteur Yves Bonnefoy qui nous a accordé une interview.

Vous êtes l’invité d’honneur des 6e Rencontres européennes de littérature. Qu’attendez-vous d’une telle manifestation ?
Des rencontres, avec des poètes d’autres pays de l’Europe. Je trouve beaucoup de sens, en effet, et j’attends beaucoup, de la diversité des cultures européennes, une pluralité qui a été et demeure la réfraction à travers des langues parfois  fort différentes de ces grands rayons que furent à l’aube du continent la pensée grecque, le droit romain, et même cette idée chrétienne de la personne si difficile à préserver de sa démesure, aux dangereux préjugés.  Les réfractions furent très variées, il en résulta des incompréhensions réciproques qui attisèrent bien des conflits, notre histoire a été un long enchaînement de désastres, mais quand on voit la rapidité et l’ampleur avec lesquelles se répandirent à travers l’Europe l’architecture romane, la peinture gothique et renaissante, l’art baroque, la poésie romantique puis symboliste et encore les avant-gardes qui précédèrent le funeste premier conflit mondial, on ne peut pas ne pas croire qu’il y a sous-jacent à nos détestables conflits de quoi donner vie avec profondeur à une recherche commune en passe aujourd’hui, qui sait même, d’enfin fleurir, au moins dans quelques œuvres qu’il importe donc de connaître.

Vous écriviez dans Notre besoin de Rimbaud qu’il a été pour vous « la révélation de ce qu’est la vie, de ce qu’elle attend de nous, de ce qu’il faut désirer en faire ». De quand date cette révélation et en quoi Rimbaud vous remue-t-il encore, aujourd’hui ?
Nous parlions de l’Europe, à l’instant. Et Rimbaud a écrit, dans Une saison en enfer : « Quittons ce continent où la folie rôde ! » Était-il, lui, un ennemi de l’Europe ? Bien sûr que non, il ne fut que déçu par un siècle où elle avait été particulièrement déconcertante, à feu et à sang sous Napoléon, puis révolutionnaire partout ou presque en 1848 mais sans lendemain à l’aune de cette grande espérance.  Et ce que nous devons à Rimbaud, sa réaffirmation impatiente de l’espérance dans le malheur, c’est dans le droit-fil d’une revendication qui est aussi spécifiquement européenne que la poésie de Leopardi ou celle de Baudelaire ou la musique de Beethoven, de Mahler.


Rimbaud voulait « changer la vie ». Est-ce le dessein commun à tout poète ?
Oui. En tout cas ce devrait l’être. Il faut mériter cette appellation si on y prétend.

En quoi le poète diverge-t-il de l’écrivain, de l’essayiste ou du traducteur ?
Précisément en ceci qu’il fait de ce dessein son grand  souci, aux dépens de l’observation des comportements sociaux, par exemple : cette vocation des romanciers. Mais n’opposons  pas le poète au traducteur. Le traducteur de la poésie a vocation à être poète.

Quel regard portez-vous sur le poète Tony Harrison, invité à vos côtés ? Existe-t-il une filiation avec l’homme aux semelles de vent ?
Tony Harrison a une pensée politique et je lui donne raison. Cela peut vous étonner puisque rien de politique n’apparaît dans ce que j’écris, mais qu’est-ce qui motive l’écriture poétique en ce qu’elle a de plus subjectif sinon le besoin, je le disais, de « changer la vie », un renouveau qui ne peut que s’accompagner d’une rénovation radicale du lien social ? Les images dans les poèmes, cela peut sembler du gratuit, de l’insouciant, mais c’est aussi et d’abord ce qui décomposent les idéologies dans lesquelles les groupes humains s’empiègent.

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