Le Phèdre de Matthieu Cruciani à la Comédie de Colmar

(c) Simon Gosselin

Matthieu Cruciani s’attaque aux alexandrins raciniens en créant Phèdre à la Comédie de Colmar, drame tragique et magique. Interview.

Après celle de Koltès, vous poursuivez votre intérêt pour la langue en attaquant celle de Racine. Comment faire entendre ces alexandrins, étrangers à la plupart des spectateurs d’aujourd’hui ?
J’ai pris goût au plaisir des grands textes, au travail dramaturgique qu’ils nécessitent, et j’avais envie de revenir à une distribution plus fournie. Comme pour La Nuit juste avant les forêts, je suis convaincu que s’emparer de la langue de Racine passe par le sens avant tout, et pas par la mécanique rythmique. Nous avions ralenti le rythme de Koltès pour rendre intelligible une chaîne de sens. L’alexandrin racinien n’est pas égal : certains vers font avancer l’action, d’autres sont rhétoriques comme dans Les Liaisons dangereuses, et certains s’approchent d’un chant magique. Nous travaillons sur ces contrastes afin de rappeler à tous que, derrière l’image classique, c’est du super théâtre, très scénarisé et que la fièvre s’empare des personnages.

Tous cheminent avec les contradictions du désir dans une vision très moderne de l’Homme…
Racine n’a lu ni Freud, ni Rilke, ni Lacan. Et pourtant tout y est ! Il raconte le rapt d’une femme par son mari qui l’enferme dans un palais. Elle échappe à sa condition en choisissant une belle mort, sa propre mort. La galerie de personnages qui entoure Phèdre est peuplée de figures complexes. Le rapport entre Thésée et Hippolyte est un modèle freudien. Le père tue son fils car il ne peut comprendre sa différence. Comme souvent chez Racine, il y a beaucoup d’amour, mais tout finit dans un bain de sang.

L’ambiance de déchéance et de fin de règne titille notre romantisme…
J’aime beaucoup ces ambiances viscontiennes de monde dont on ne sait s’il est en ruine ou en reconstruction. J’ai choisi avec le scénographe Nicolas Marie un espace fixe, jouant du dévoilement progressif, allant vers la mer, le tragique et le monstre de Neptune qui viendra dévorer Hippolyte. Comment une famille peut camper dans ce palais abandonné par le père, au milieu de ses trophées poussiéreux ? En même temps l’espace est concret, allant du domestique et du drame au tragique, penchant vers le magique, avec une fin pleine de symboles et de fantastique.

Phèdre n’est finalement coupable que d’aimer, de sentiments, même pas de tromperie…
C’est vrai qu’il faut piocher dans des valeurs un peu anciennes, comme l’honneur, pour trouver des correspondances à cette tromperie dans le cœur ou l’âme, sans tomber non plus dans le très chrétien péché par la pensée. Phèdre mène une expérience, elle s’affirme vivante, se crée des situations pour se ré-électriser, d’autant qu’elle n’est pas une vieille femme : elle a la quarantaine et deux enfants en bas âge. Thésée aussi est un jeune père. Cela déplace les choses : elle devient sujet de son propre désir – sans être réduite à craquer pour un p’tit jeune ! –, s’en empare et l’assume jusqu’au bout.

Matthieu Cruciani
Matthieu Cruciani et sa réadaptation de Phèdre (c) Simon Gosselin

À La Comédie de Colmar du 25 janvier au 2 février puis au Théâtre de Lons-le-Saunier mercredi 7 et jeudi 8 février
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