Liaisons dangereuses

Artiste aux doigts d’or, Gesaffelstein s’adresse aux amoureux de techno crépusculaire, tapageuse et menaçante. Une musique à la beauté néoclassique, hommage aux années 1980 du label Mute et aux pionniers electro.

Belle gueule ténébreuse et look de dandy des platines, Mike Levy aurait pu défiler pour Slimane ou jouer chez Garrel. Le jeune lyonnais préfère le chant de la machine aux plateaux et projos, l’isolement des studios à l’Actors studio. En quelques années à peine, il a su imposer son style martial jusqu’aux États-Unis, les oreilles américaines étant tombées sous le charme sombre des productions de Gesaffelstein. Sa cote a grimpé en flèche : avant même la sortie de son premier opus, le petit génie des synthés, samplers et logiciels fut convié à gonfler la pop glamour de Lana Del Rey par injection de rythmiques bodybuildées ou encore à produire Black Skinhead, meilleur morceau de Yeezus, dernier album du messie du rap Kanye West.

Vers seize ans, l’ado passionné par le dessin et plus généralement les arts visuels découvre la techno via Green Velvet : c’est le Flash (un des titres phares du vétéran chicagoan à la crête verte), la révélation, l’obsession. Mike abandonne l’idée d’embrasser une carrière de graphiste et s’improvise musicien, en autodidacte bidouillant des compositions puissantes, inspirées par une longue liste de références qui feront la richesse de son premier album, Aleph : l’Electronic Body Music baraquée de Nitzer Ebb, la new wave peroxydée de Depeche Mode (dont il a remixé Goodbye), l’électronique historique de Kraftwerk, la techno originelle de Detroit ou de Chicago, celle, autoritaire, de Dopplereffekt (auteur de Gesamtkunstwerk, base de son pseudo, on y revient) ou rageuse de The Hacker qui deviendra son guide. Exit, l’hédonisme rose bonbon et les paillettes disco. Sons vrombissants, parfois aigus, souvent industriels, boucles synthétiques eighties, hurlements inquiétants et surtout rythmes cognant fort. Très fort. Par moments, le calme, le silence : un tourbillon vertigineux qui laisse un temps de répit. Lors des breaks, l’auditeur respire un grand coup en attendant fébrilement le martèlement sonique s’apprêtant à revenir comme une vague faisant l’effet d’un rouleau compresseur.

Bienvenue à Gattaca

Aleph est un album terriblement homogène, mais pas monolithique. Si Pursuit semble prolonger les choses là où Liaisons Dangereuses les avait laissées avec Los Niños del Parque (1981), Hellifornia s’avère un improbable mélange entre sons gangsta West Coast et ambiances technoïdes infernales. L’inquiétant Wall of Memories ? Une petite musique de nuit glaciale. Values ? La parfaite BO pour un polar polaire, un thriller planté dans un monde régit par les codes génétiques. Hasard, coïncidence ? Duel et Obsession sont également des titres de films (et pas des moindres, respectivement de Spielberg et De Palma), comme si Mike Levy cherchait à transformer les clubs en salles sombres pour y projeter ses angoisses.

Contraction de Gesamkunstwerk et Einstein, Gesaffelstein perçoit son travail comme faisant partie d’une œuvre d’art totale. Sa musique est indissociable des clips qui la servent. Celui, hyper léché, illustrant Pursuit, dévoile une société aseptisée et surveillée, hantée par des personnes clonées et de sévères idoles en or. On retrouve le précieux métal dans la vidéo accompagnant Hate or Glory où l’on voit un jeune truand black se recouvrant d’une carapace dorée… qui n’empêchera pas les balles du gang adverse de lui faire sauter le caisson. Son univers dark et violent, gouverné par des figures totalitaires, se veut le reflet de sa vison du mal. Sous les BPM : un gout amer, une insidieuse poésie noire.

À Strasbourg, à La Laiterie, samedi 1er février

03 88 2137 237 – www.artefact.org

À Nancy, à L’Autre Canal, vendredi 7 février

03 83 38 44 88 – www.lautrecanalnancy.fr

Gesaffelstein, Aleph, édité par Parlophone

www.gesaffelstein.com

 

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