L’été des légendes

Grace Jones © Andrea Klarin

Le rock ancestral d’Iggy Pop, le hip-hop stupéfiant de Cypress Hill ou le rock aérien de Slowdive : profitons des festivals rock pour réviser nos classiques… et aller nous rafraîchir dans l’ombre de ces géants avec Noga Erez ou Lemon Twigs.

Les moins de 20 ans se rendront-ils aux Eurockéennes uniquement pour voir PNL ou DJ Snake ? « Pas forcément », répond Kem, programmateur : « Nous avons sondé un panel de jeunes spectateurs il y a quelques années et les 18 / 20 ans ne s’intéressent pas qu’aux artistes de leur génération. Iggy Pop est un des derniers monstres du rock et ce public a très envie de profiter de l’opportunité de le voir en concert. » Ainsi, les enfants du rock iront à Décibulles pour se prendre les punchlines de Vald dans la figure, pour surfer sur les mélopées electroïdes de Møme, mais peut-être aussi pour vibrer au son de la voix soul de Valerie June (Les Nuits de Fourvière) renvoyant aux années Stax ou pour s’éclater les tympans face aux riffs garage vintage d’Hanni El Khatib. « Aujourd’hui, il n’y a plus de chapelles » confirme Tal Stef, programmateur de Contre-Temps. « Grâce aux nouveaux médias, les plus jeunes peuvent aller se renseigner sur l’histoire de la musique, en faisant du “digital digging”. Ils en savent plus sur un mouvement en quelques clics que moi en quinze ans ! »

 

Slowdive © Ingrid Pop

Touchés par la grâce

La musique s’écoute à l’envi et se vit ! Les festivals offrent une belle manière de faire le plein de sonorités venant de loin, géographiquement (un zoom sur la Colombie aux Eurocks, une DJette turque à Contre-Temps…) ou dans le temps. PJ Harvey (Rock en Seine), The Jesus and Mary Chain (Rock en Seine), Iggy Pop (Eurocks), Cypress Hill (Rock en Seine, Cabaret Vert), Slowdive (Rock en Seine) ou Grace Jones (Montreux, Stimmen) : les dinosaures sont de sortie et nous aurions tort de ne pas en profiter, même si parfois, la prog’ estivale laisse songeur… Trust, en tête d’affiche du festival des Artefacts, pincez-moi je rêve ! Il faut dire que la journée hip-hop, avec les ancêtres Deliquent Habits, House of Pain, mais aussi le rappeur Mac Miller (qui a moins de 30 ans), a été annulée pour des raisons qui dépassent notre raison. Slowdive est un cas à part : il s’agit d’une légende pour beaucoup d’artistes, notamment ceux qui ont participé au disque de reprises Blue Skied an’ Clear (Múm, Lali Puna, etc., en 2002), mais hélas restée dans la brume rosée de My Bloody Valentine. Nous pouvons donc parler de groupe culte au sujet de cette formation anglaise de la fin des eighties. Ces maîtres du shoegazingsoit l’art de sortir des sons d’une infinie beauté dans un marasme guitaristique – connaissent aujourd’hui un retour en grâce et s’affichent (parfois en très gros, comme au festival Maifeld Derby de Mannheim dont il est l’une des vedettes) au menu de Rock en Seine et toute une flopée d’autres événements européens. L’occasion de découvrir en live les très beaux titres du nouvel album de cette mythique formation qui en a encore sous le pied.

 

Thurston Moore © B&W

Merci pour ce moment

Autre immense monument du rock : Thurston Moore (Maifeld Derby, Laiterie) que personne ne peut s’empêcher de décrire physiquement. La palme revient à son ex-femme et ex-partenaire de Sonic Youth, Kim Gordon. Dans ses mémoires, elle charge pas mal son époux infidèle, shoot à vue sur celui qui l’a trahie, mais reste d’une extrême justesse lorsqu’elle en tire le portrait : « Son jean, ses Puma old school et sa chemise blanche défaite lui donnaient des airs d’ado figé dans le temps, de gamin de dix-sept ans rechignant à être vu en compagnie de sa mère, ou de n’importe quelle femme d’ailleurs. Avec ses lèvres à la Mick Jagger, sa silhouette dégingandée dont il ne savait que faire et cette prudence propre aux grands qui cherchent à éviter de dominer les autres avec leur taille, il se cachait derrière de longues mèches châtain, ce qui semble bien lui convenir. » Une allure de gamin et un style inimitable. Le Sonic Youth est tombé dans une marmite d’eau de jouvence, sa guitare est taillée dans du bois vert et ses cordes vocales sont toujours aussi bien tendues. Il vient de sortir un nouvel album solo, Rock N Roll Consciousness : cinq titres seulement (allant jusqu’à près de 12 minutes), un concentré d’émotions, entre rage et désespoir, rêves partis en fumée et exaltation totale.

 

ROCKY © Rene Habermacher

Esclave du rythme

Autre personnalité mythique, que dis-je, iconique : Grace Jones, Jamaïcaine incarnant à elle seule les eighties, dans ce qu’elles nous offraient de mieux. Grâce à Grace, cette décennie fût touchée par la classe. À 70 ans, la muse de Goude et figure helmut-newtonienne parfaite, va à nouveau nous faire voir La Vie en rose et proposer de l’accompagner durant un Nightclubbing warholien. Assister au show de Grace Jones, c’est découvrir en live le modèle absolu d’Inès Kokou, mannequin-chanteuse hyper fashion… comme celle qui inspire la front-woman de ROCKY (Solidays, Eurocks) et fan des années 80, « une décennie où débutent de nombreux croisements entre les musiques, par exemple le punk-rock qui rencontre la house avec Primal Scream », selon l’intéressée. Uppercuts pop-soul, directs du droit dans les basses, crochets house : ROCKY nous balance dans les cordes avec Soft Machines, premier album punchy à découvrir sur scène cet été.

 

Noga Erez © Tonje Thilesen

Jolis mômes

Quelles autres formations récentes aller applaudir ? Citons les alsaciens rock au succès hyper fulgurant de Last Train1 (Décibulles, Solidays, La Laiterie, en décembre), l’électronicien globe-trotter Møme2 (Décibulles, Festival de l’Abbaye de Neimënster), le rat (de laboratoire) des champs Fakear3 (Rock en Seine, Les Ondes messines) ou The Lemon Twigs (Eurocks, Cabaret Vert), avec leurs têtes d’oisillons tombés du nid bien qu’ils ne soient pas nés de la dernière pluie. Il s’agit d’un des gros coups de cœur de Kem des Eurocks : « Un groupe qui mixe la pop psyché des années 1960 / 70 à sa sauce, avec une insolence due à sa jeunesse. On l’a l’impression d’être face à Queen, The Who ou Gary Glitter ! » Lucille Crew (Le Jardin du Michel, Solidays, Rencontres et Racines) va également puiser dans le passé de la musique pour la conduire vers demain. Le collectif trempe sa soul dans le hip-hop et le funk fanfaronnant, il rappe sous le soleil de Tel Aviv et convoque Aretha Franklin, The Herbaliser ou le son West Coast des nineties. Qui l’eu crew ? Une de leurs compatriotes : la jeune israélienne Noga Erez, est annoncée comme la relève de M.I.A. ou de Peaches, avec son r’n’b futuriste, percutant, sexy, addictif. « Puissant », ajoute le programmateur des Eurocks qui a eu la chance de la voir dans un petit club et faisant le pari « que les 5 000 personnes devant lesquelles elle jouera cet été vont prendre une grosse claque ». Courons nous prendre une mandale de ce nouveau phénomène : demain, elle sera dans tous les radars ! Ceux-ci deviennent déjà fous avec Damso (We Love Green, puis La Laiterie, L’Autre Canal et La Cartonnerie), rappeur belge « qui n’a qu’un seul amour, c’est la chanson ». Finissons avec la diva nu soul Solange (Eurocks) qui, comme Inès Kokou et Grace Jones, cumule les mandats sans que personne ne s’en inquiète : mannequin, chanteuse, comédienne, sœur de Beyoncé, belle-sœur de Jay-Z et complice du géant du rap Kendrick Lamar… Cette it girl a du talent et la cool attitude qui lui colle à la peau.

 

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Doré (c) Goledzinowski

3 questions à Julien Doré

Vous êtes vraiment un descendant de Gustave Doré ?

Oui, c’est mon arrière-arrière-grand-oncle, un Strasbourgeois ! Je sais que la ville est très attachée à son travail et j’ai pu admirer son immense Christ quittant le prétoire au MAMCS. Dans son œuvre en général, il représente l’homme plongé dans un immense décor qui est un gouffre et un émerveillement. Suivant son modèle, dans mes textes, j’essaye d’élargir le sentiment amoureux, de trouver la place de l’homme dans ce qui l’entoure.

Vos chansons peuvent naître d’un dessin ou d’une photo ?

Je ne connais pas le solfège et je ne compose qu’au piano et ce sont des chorégraphies de doigts pour moi… Les choses visuelles donnent naissance à des mélodies ou des mots. Sur Magnolia, je chante « J’en ai crevé des cœurs collier de mes défenses » : ces paroles viennent d’un croquis de mon carnet représentant des défenses d’éléphant autour desquels étaient disposés des colliers de fleurs. J’aime cette idée car c’est vrai que j’en ai crevé des cœurs, mais par défense, comme un grand mammifère en voie d’extinction qui tente de se protéger…

Dans le documentaire qui retrace l’écriture de &, vous rendez hommage à la simplicité d’une soirée pizza / foot entre copains : est-ce pour briser l’image de cynique qui vous colle à la peau ?

Non, ça je m’en contrefous ! Les images réductrices ne m’intéressent pas… Je ne vais jamais dans les soirées mondaines, je ne suis pas un bobo parisien issu d’une grande famille et j’ai bossé sur des chantiers durant huit ans. Cependant, la peur de la lumière médiatique m’a conduit à me protéger derrière un second degré dans lequel je ne me reconnaissais plus. Le manque de confiance en moi a été très présent durant 25 ans de ma vie alors, quelque part, tant mieux si j’ai l’air solide, mais ça n’est pas le cas… Si j’étais sûr de moi, je serais devenu mou et je ferais de la merde !

Julien Doré, vendredi 4 août à La Foire aux vins d’Alsace (du 27 juillet au 6 août, à Colmar)

foire-colmar.com

 

Kem © Stéphanie Durbic

pop ou pnl ?

Iggy pop, Thiéfaine ou même Arcade Fire et Phœnix : les Eurockéennes misent sur les “anciens” tout en conviant des jeunes pousses de la trempe de Solange, prophète en son pays… mais pas trop par ici. Entretien avec Kem, programmateur.

Quelle est la tête d’affiche de cette édition ?

Arcade Fire : un groupe rare, qui clôture le festival. Ça n’a jamais été un gros vendeur de tickets en France, mais il fait un super spectacle, avec de nouveaux morceaux. Sur scène, il est très généreux et sort l’artillerie lourde !

Et Solange ? J’ai l’impression que sa notoriété n’est pas si forte en France… 

Je ne sais pas : beaucoup de choses sont assez incompréhensibles ici. Jay-Z n’a jamais été une énorme tête d’affiche en France et Kendrick Lamar ne remplit pas encore des stades…

Pourquoi sommes-nous imperméables aux gros phénomènes américains ?

Je pense que les gens aiment chanter – en français – et reprendre les paroles en chœur, pour communier avec l’artiste. Ils pourront le faire durant le concert de Thiéfaine, voire de PNL ou Booba. Le public a besoin de ces repères. Peut-être est-ce dû au piètre niveau d’anglais en France…

L’an passé, vous avez convié le talentueux Anderson Paak qui a beaucoup fait parler de lui… Quelles sont les découvertes de cette année ? Les stars de demain ?

Je pense à Parcels, un groupe qui va grimper : c’est une vraie machine à groover, un vrai phénomène alors qu’ils ont vingt ans ! Citons aussi HMLTD, mi-français, mi-anglais, qui fait un étonnant mélange entre glam, punk et electro : ils sont six sur scène et évoquent Bowie époque Ziggy Stardust.

 Pourquoi un focus sur la Colombie ?

Il y a cinq groupes : El Freaky et Ghetto Kumbé mélangeant kumbia et electro ou Diamente Electrico qui fait du garage rock. L’équipe des Eurocks s’est rendue plusieurs fois là-bas et il y a une scène très dynamique que nous voulions mettre en avant.

Que fait Serge Bozon à l’affiche ?

Jean-Paul, notre directeur, l’a croisé durant le festival Entrevues où il passait de vieux disques garage-rock pour une after à La Poudrière. On l’a contacté pour faire le DJ et il a été partant !

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