Les rêveries du promeneur solitaire

© Florian Tiedje

Aller à la rencontre du public au cours des Ateliers ouverts. Publier un livre. (Re)partir aux antipodes. Pascal H Poirot ne s’arrête jamais. Cela valait bien une rencontre avec l’artiste alsacien.

«Simple et modeste. » Voilà comment Pascal H Poirot parle de son atelier d’une cinquantaine de mètres carrés, précisant cependant : « Il a été construit comme un véritable atelier de peintre par l’architecte Éric Gauthier, qui a également refait l’intérieur du CEAAC, avec sa lumière venant d’en haut, sa hauteur de chapelle, son ouverture sur la nature. » Rajoutez une mezzanine pour ranger le “stock”, une vue paisible, et vous obtenez un lieu générant l’inspiration. Épicentre de son travail, l’endroit est aussi présent dans ses toiles, même s’il s’agit « d’ateliers fictifs, de souvenirs des anciens ateliers, d’empreintes. »

Alsace

S’il la représente souvent, il ne peint jamais dans la nature. « La confrontation avec les éléments est un moment d’une trop grande intensité. Il y a d’un côté l’espace où on ne maîtrise rien, le dehors. Et de l’autre celui où l’on tente de maîtriser quelque chose, l’atelier. Impossible d’y arriver complètement ! Et c’est mieux ainsi. » Si l’artiste est célèbre depuis les années 1980 pour ses Canapés (une série sans fin, mais « une peinture n’est jamais “satisfaite”, elle en appelle d’autres, toujours d’autres »), il aime jouer avec les perspectives, les faussant allègrement dans des compositions où chaque élément de la toile semble en convoquer un autre, et ainsi de suite, pour en définir la structure. Paysages figuratifs non réalistes. Vues métaphysiques sur lesquelles plane l’ombre de Giorgio De Chirico. Échappées surréalisantes aux accents magrittiens. L’art de Pascal H Poirot ne se laisse pas saisir avec aisance, même s’il exerce une séduction violente au premier regard. Trop facile. Il faut plonger derrière l’impression initiale. Un chevalet trône au bout d’une terrasse de bois devant un paysage de montagne grandiose (La Fonte, 2018). Ailleurs, il est planté dans le désert avec un monochrome rouge posé sur lui (Sous les yeux I) ou délimite logiquement l’espace de travail de l’artiste (Vue d’atelier Y). Le propos dialectique entre le dehors et le dedans est permanent. Entre l’immensité de la nature et la toile qui la reflète se crée une fascinante mise en abyme comme si le peintre se jouait des catégories, faisant de l’espace sa maison et réciproquement.

Austral I (The Return of the Giant)

Australie

Lorsqu’il ne trouve pas son inspiration dans son cher Val de Villé ou dans les grandioses cimes alpines, le peintre aime aller aux antipodes se colleter avec le paysage de manière frontale : « En Australie, où je retourne bientôt, je “crobarde” sans cesse, me promenant avec un Carnet Moleskine à l’italienne » qui a donné sa forme au joli livre qu’il vient de publier. Intitulé [En] Quête de peinture, il montre des séries récentes, où l’Histoire de l’Art fait irruption dans le paysage. On croise ainsi le couple immortalisé par Millet dans L’Angélus au coeur d’un désert aride ou ses Planteurs de pomme de terre, mais également Le Peintre sur le chemin du travail, toile de 1888 de Vincent Van Gogh disparue dans les flammes de la Seconde Guerre mondiale. « Il marche dans un paysage austral qui le dépasse, lui donnant son échelle » mais renforçant aussi la dimension onirique de ces vues où abondent tortues géantes, arbrisseaux épineux décharnés et autres banksias en forme de brosse. Ce promeneur solitaire est bien évidemment Pascal, en quête de motifs, de couleurs et parfois dépassé par le paysage. Ivre, grisé par l’espace. « Souvent, je me demande ce que je fous là », se marre-t-il. Il nous embarque dans un entre-deux onirique, une réalité en soi qui est la nature mais en est profondément différente. Voilà des mangroves aux reflets fuyants, insaisissables par essence, cristallisées avec élégance dans des efflorescences pointillistes, des montagnes magiques aux lignes bleutées, piquetées de cactus et d’eucalyptus ou encore des déserts où se sont échouées d’improbables barques comme les carcasses mélancoliques des chalutiers de la Mer d’Aral.


Atelier situé 4 rue des vieilles vignes (Neuve-Église), visitable comme de nombreux autres au cours de la 20e édition des Ateliers Ouverts en Alsace (18 & 19/05, 25 & 26/05)

ateliers-ouverts.net

pascalhpoirot.com

Les Ateliers Ouverts se déploient aussi dans le Grand Est à Nancy (11 & 12/05), Épinal & Remiremont (01 & 02/06)

lesateliersdugrandest.net

Auto-édité (25 €)

vous pourriez aussi aimer