Le réel fragmenté

Sonia Delaunay, Prismes électriques, 1914, Paris © Centre Pompidou, Mnam - CCI/Philippe Migeat/Dist. RMN-GP © Pracusa S.A.

1907-1917 : une décennie qui révolutionna l’histoire de l’Art. En 130 œuvres, le Kunstmuseum Basel entraîne le visiteur dans Le Cosmos du cubisme en compagnie de Picasso, Braque, Léger…

Processus de fragmentation du réel, le cubisme trouve autant ses sources dans les œuvres africaines (est notamment exposée une statue Yombe bardée de clous) ou océaniennes que chez Paul Cézanne qui enjoignait épistolairement son ami Émile Bernard, en 1904, à « traite[r] la nature par le cylindre, la sphère, le cône ». En visitant une rétrospective posthume de 1907 dédiée au “maître de la Sainte-Victoire” Picasso et Braque engagent la décomposition de leurs motifs. Elle est à l’œuvre dans Arbres à L’Estaque (1908) du second, tout comme dans un tableau portant le même titre de Dufy réalisé lors de vacances communes, marquant une courte incursion en des terres artistiques qu’il quittera ensuite. La toile se caractérise par une réduction de la palette à quelques variations de gris, d’ocres et de verts et une utilisation de formes géométriques pour “rendre” le paysage… que Matisse raillera, évoquant de « petits cubes » lorsque le tableau sera exposé chez Kahnweiler.

Chez Picasso et Braque, deux jumeaux au cours de ces années, l’homogénéité de la forme vole en éclats comme dans le Portrait de Fernande Olivier (1909) du premier. Leur complicité éclate dans les toiles peintes au cours de l’été 1911, passé ensemble à Céret, si bien qu’on ne sait plus qui a réalisé quoi avec des œuvres telles Le Joueur de Mandoline ou La Femme lisant : les plans s’imbriquent, des caractères d’imprimerie apparaissent comme des signes dans des orgies géométriques – qui ne sont jamais abstraites – enchevêtrées et rigoureuses se déployant dans un camaïeu de bruns. L’exposition arpente ensuite les différents territoires du cubisme, zoomant sur ses acteurs les plus célèbres (l’extraordinaire Femme en bleu de Fernand Léger ou les Prismes électriques de Sonia Delaunay), sans négliger certains oubliés. Parmi eux, figure Henri Le Fauconnier dont la monumentale Abondance fut pourtant une des stars de la salle cubiste du Salon des Indépendants de 1911. Elle est une parfaite expression d’une époque partagée entre tradition académique (le motif allégorique, la composition classique) et élans modernistes (la répétition rythmique d’éléments picturaux de petite taille), illustrant avec bonheur la célèbre phrase d’Apollinaire définissant le cubisme comme « l’art de peindre des ensembles nouveaux avec des éléments empruntés, non à la réalité de vision, mais à la réalité de connaissance. »


Au Kunstmuseum Basel, jusqu’au 4 août
kunstmuseumbasel.ch

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